C’était la course la plus attendue de l’année. Celle qui suscitait tant d’espoirs auprès des observateurs du cyclisme, surtout après une lutte pour le maillot jaune décevante sur le dernier Tour de France. La course la plus attendue parce que tous les facteurs étaient réunis pour que grandes offensives, rebondissements, défaillances et beau vainqueur soient au rendez-vous. Et parce que ce circuit pour grimpeurs devait rendre la course tellement plus ouverte qu’une arrivée pour puncheurs. Ajoutez à cela un nombre réduit de coureurs par équipes, cinq pour les mieux représentées, et vous avez peut-être la recette pour avoir une belle course de vélo. C’est ce que les personnes qui ont tracé le parcours à Rio ont dû penser il y a plusieurs mois. Et ils ont eu grandement raison, tant cette course a été vibrante.

C’est un circuit pour grimpeurs et personne ne peut le nier en jetant un œil sur le profil du jour. Après quatre boucles de 25 kilomètres où deux petites bosses venaient échauffer ceux qui ne souffraient pas de la chaleur, la partie la plus difficile résidait dans le circuit final à réaliser trois fois. L’ascension de la Vista Chinesa était aussi impressionnante que certains cols des Grands Tours, puisque longue de 9 kilomètres à 6 % de moyenne mais surtout avec des passages à 13 % au pied. De quoi dégager de nombreux favoris, des hommes forts à l’aise sur trois semaines.

Au départ, on parle beaucoup de Froome (Grande-Bretagne) sorti grand vainqueur du mois de juillet, de Nibali (Italie) décidé à montrer que sa Grande Boucle faite en dedans allait lui servir, de Valverde (Espagne) qui n’a encore jamais rien gagné avec le maillot espagnol ou encore du côté tricolore de Bardet (France), en qui tout un peuple place de nombreux espoirs après sa 2ème place sur le podium à Paris. C’est pourtant un puncheur et spécialiste des classiques qui va se mettre en évidence. Comme pour rappeler que c’est une course d’un jour et non une course par étapes.

Si cette épreuve est particulière et se présente très rarement dans une carrière de coureur, il ne faut pas penser que toute la journée se trouvera changée pour autant. La traditionnelle échappée matinale a encore moins de chances de victoire sur une épreuve comme celle-ci mais cela ne dérange pas Michael Albasini (Suisse), Sven-Erik Byström (Norvège), Simon Geschke (Allemagne), Pavel Kochetkov (Russie), Michal Kwiatkowski (Pologne) et Jarlinson Pantano (Colombie) qui décident de jouer leur carte dès le début. Malgré les huit minutes accordées par l’équipe britannique qui régule le train du peloton, l’arrivée dans la première des trois ascensions du Vista Chinesa leur sera fatale. Seuls Kwiatkowski, le plus frais du groupe, et Kochetkov résistent mais pas jusqu’à croire à une médaille. Derrière la course est lancée, et cinq hommes partent dans les rampes les plus pentues. Damiano Caruso (Italie), Sergio Henao (Colombie), Rein Taaramae (Estonie), Geraint Thomas (Grande-Bretagne) et Greg Van Avermaet (Belgique) vont former un groupe de contre puis de tête dans la deuxième ascension, une fois Kwiatkoswki rejoint.

Derrière, les Espagnols ont saisi le danger. Ils roulent fort et maintiennent l’écart sous la minute. Le peloton est groupé au sommet et l’on pense que tout se jouera dans la dernière montée. Mais l’Italie va réaliser un coup de force. Fabio Aru et Vincenzo Nibali sortent dans la descente, avec entre autres Rafal Majka (Pologne), Jakob Fuglsang (Danemark) et Adam Yates (Grande-Bretagne), et reviennent à l’avant. On se dit que le champion olympique est à l’avant quand dans la dernière montée Nibali et Henao passent à l’attaque. Seul le Polonais arrive à suivre le rythme mais il semble à la limite.

Le Requin de Messine se lance alors tambour battant dans la descente suivi comme son ombre par Henao. Ils prennent de tels risques que la moto suiveuse ne peut pas les suivre et les perd de vue. Mais ils finissent par en prendre trop et se retrouvent à terre dans une des nombreuses courbes à négocier. Les deux coureurs sont assis, l’un sur la route et l’autre dans l’herbe, et saisissent immédiatement que leur rêve olympique vient de se briser. Alors qu’ils avaient une médaille presque assurée et pensaient à l’or, tout s’envole en une fraction de secondes. Rafal Majka a évité de peu ses deux camarades et file alors tout droit vers l’arrivée. Mais derrière le groupe des poursuivants se rapproche avec un Julian Alaphilippe (France) en grande condition.

Revenu à toute vitesse de l’arrière sur Chris Froome qui plaçait un démarrage de la dernière chance, celui qui a porté quelques jours le maillot blanc sur le dernier Tour de France dépose un peu plus loin le dernier vainqueur du Tour de France ! Alaphilippe réalise un véritable numéro et recolle finalement au groupe de contre au prix d’un superbe effort. Une seule solution pour gagner : faire la descente. Il se place en tête juste avant le sommet et alors qu’il est prêt à revenir seul sur les leaders, une chute le retarde définitivement. Il terminera l’épreuve au pied du podium, après une nouveau retour dans le groupe de contre, alors qu’il était peut-être le plus fort aujourd’hui. En forme olympique diront certains.

L’entente n’est pas extraordinaire dans le groupe qui poursuit Majka. Sur le plat, Fuglsang décide alors de sortir, immédiatement suivi par Van Avermaet. Les deux s’entendent à merveille et reviennent sur le Polonais à deux kilomètres de la ligne. Il n’y aura plus de suspense, Greg Van Avermaet dominant largement ses adversaires sans avoir recours à la photo-finish. Après avoir porté le maillot jaune et remporté une étape sur le Tour de France, le Belge réalise le plus gros coup de sa carrière et définitivement sa plus belle saison. Toujours à la recherche d’une victoire sur un Monument, il a su bien résister dans des difficultés qui ne lui convenaient pas spécialement et faire preuve d’un sens tactique aiguisé. Jakob Fuglsang et Rafal Majka se parent respectivement d’argent et de bronze au terme d’une course haletante qui nous aura tenu en haleine dans les deux derniers tours. Exactement ce à quoi nous rêvions.

Classement :

1. Greg Van Avermaet (Belgique) les 237,5 km en 6h10’05 (38,5 km/h)
2. Jakob Fuglsang (Danemark) m.t.
3. Rafal Majka (Pologne) à 5 sec.
4. Julian Alaphilippe (France) à 22 sec.
5. Joaquim Rodriguez (Espagne) m.t.
6. Fabio Aru (Italie) m.t.
7. Louis Mentjes (Afrique du Sud) m.t.
8. Andrey Zeits (Kazakhstan) à 25 sec.
9. Tanel Kangert (Estonie) à 1’47 »
10. Rui Costa (Portugal) à 2’29 »