Christian, quel esprit avez-vous cherché à inculquer au Tour de France 2015 ?
L’esprit du Tour, c’est toujours le même dans le parcours : c’est faire en sorte qu’il puisse y avoir des surprises. Le dogme, c’est qu’il n’y a pas de dogme. Pour la première fois depuis dix ans, nous allons faire une première semaine en plaine puisque nous partons des Pays-Bas et que nous ne souhaitions pas laisser la Bretagne de côté deux années de suite. Mais nous allons utiliser toutes les aspérités qui peuvent exister sur des étapes dites de plaine pour faire que la course soit emballante tous les jours.

Lesquelles ?
Ça va commencer avec le vent et l’arrivée en Zélande, sur une digue, ce qui sera du jamais vu dans l’histoire du Tour. Il en sera de même en Seine-Maritime pour aller jusqu’au Havre. Nous allons également utiliser à nouveau les pavés, que nous n’avions pas envie de zapper en rentrant en France par le département du Nord. Et puis il y aura deux arrivées emblématiques et sélectives que j’appelle les « cimes de la plaine » : le Mur de Huy, sur les pourcentages très impressionnants de l’arrivée de la Flèche Wallonne, puis Mûr-de-Bretagne sur des pourcentages également très importants. Dès cette première semaine, nous verrons les favoris. Comme on a pu voir Vincenzo Nibali et les autres sur l’étape de Sheffield dans le Yorkshire.

Sans oublier le retour des bonifications en première semaine ?
J’ai toujours dit depuis des années que je préférais le temps réel et je le confirme. Mais lorsque nous avons supprimé les bonifications en 2008, c’est parce que le parcours, pour la première fois depuis quarante ans, s’élançait sur une étape en ligne, avant un contre-la-montre à Cholet et une arrivée en bosse à Super-Besse. Les bonifications ne servaient à rien. Pour la première fois depuis dix ans, nous allons cette fois avoir neuf jours en plaine. Je suis pragmatique : les bonifications avaient à nouveau un sens pour les arrivées au sprint. Et au Mur de Huy comme à Mûr-de-Bretagne les favoris iront les chercher, j’en suis certain.

C’est également le retour du contre-la-montre par équipes, repoussé au neuvième jour de course. Ne sera-t-il pas pénalisant pour les équipes qui ne s’y présenteront certainement pas toutes à neuf ?
Ça, on verra. Si ça permet au peloton d’être un peu moins nerveux… Ce que nous souhaitions, c’était faire un contre-la-montre par équipes atypique avec une arrivée en bosse à Plumelec, dans la côte de Cadoudal, qui est célèbre pour tous les gens qui aiment le vélo. Nous voulions le faire en Bretagne, dans la région qui compte sans doute le plus de connaisseurs.

On distingue très clairement deux parties à ce Tour 2015. Le nord que vous venez d’évoquer, puis le sud extrêmement montagneux ?
Des Pyrénées aux Alpes en passant par le sud du Massif Central, ce sera fait assurément pour les grimpeurs. Les Alpes en dernière semaine seront très importantes avec quatre étapes consécutives, ce qui est rare. Elles vont aussi aller crescendo avec une première étape entièrement dans les Alpes-de-Haute-Provence, sur les traces de la légende du Tour de France avec une arrivée à Pra-Loup, où Bernard Thévenet avait réussi l’un des retournements de situation les plus incroyables de toute l’Histoire du Tour en battant le géant Eddy Merckx.

On ira ensuite à Saint-Jean-de-Maurienne…
En passant par le Glandon mais aussi par une nouveauté sur le parcours du Tour, les magnifiques et impressionnants lacets de Montvernier. J’ai entendu comme la salle du Palais des Congrès a réagi en voyant ce zoom arrière sur ces dix-huit lacets empilés les uns sur les autres sur 3 kilomètres. C’est quelque chose de très impressionnant, de très esthétique, bien que la difficulté sera certainement moins importante que l’impression qu’ils donnent.

En revanche, les deux dernières étapes alpestres quarante-huit et vingt-quatre heures avant le défilé sur les Champs seront âprement décisives ?
Il y aura 138 kilomètres entre Saint-Jean-de-Maurienne et La Toussuire avec l’inédit col du Chaussy, la Croix de Fer et le Mollard. Avant l’étape de 110 kilomètres le lendemain entre Modane et l’Alpe d’Huez via le Télégraphe et le Galibier ! Là on va avoir une bataille formidable. On a osé faire ce qui n’avait encore jamais été fait jusque-là, c’est-à-dire l’Alpe d’Huez à la veille des Champs-Elysées. Ça nous promet je l’espère une bagarre et un suspense jusqu’au bout.

De la montagne, assurément, mais 14 kilomètres seulement de contre-la-montre individuel, soit un nouveau record. Qu’est-ce qui motive cette volonté d’abréger les chronos ?
D’abord, c’est une évolution très régulière dans toutes les courses depuis trente ans. Ensuite parce que les contre-la-montre aujourd’hui bloquent la course. En 2014, nous avons eu une course formidable grâce aux coureurs, mais aussi parce que l’unique contre-la-montre, qui était long, se situait à la veille de l’arrivée. Quand tout le monde se tient en deux minutes, c’est bien évident que vous avez des ambitions autres que lorsque vous êtes déjà repoussé à cinq minutes. Maintenant, rien ne dit que nous ne reviendrons pas aux chronos, comme nous l’avions fait en 2012. La vérité du jour n’est pas celle du lendemain.

Propos recueillis à Paris le 22 octobre 2014.