Gilbert, cela fait 20 ans que vous avez remporté votre deuxième Paris-Roubaix, quel souvenir en gardez-vous ?
C’est un très bon souvenir. La première fois, je suis arrivé seul, la seconde c’était au sprint. Ça démontrait les deux qualités de Gilbert Duclos-Lassalle : celui qui savait se déjouer de ses adversaires avec panache, et le métier. Ça fait maintenant 20 ans que j’ai gagné, cela passe très vite. Mais j’en garderai un excellent souvenir.

Entre vos deux victoires, laquelle est la plus forte en émotion ?
La première fois en 1992, le public m’encourageait, et criait « Duclos ! Duclos ! » Ils l’ont fait aussi pour la deuxième l’année suivante quand je suis rentré dans le vélodrome. Mais le fait de battre Franco Ballerini de 8 centimètres, c’était grandiose. C’est pour cela, il n’y en a pas une qui soit plus forte que l’autre. Elles sont différentes, mais ce sont deux grands moments. Comme je le dis souvent : la première c’est le panache, la deuxième c’est le métier.

Quand vous franchissez la ligne en 1993, pensez-vous avoir gagné ?
Je ne pense pas avoir gagné, mais je ne pense pas avoir perdu. Lui lève les bras. Je m’arrête auprès de mon kiné, et je lui dis : « si j’ai gagné c’est de peu, si j’ai perdu c’est de peu ». Je lève la tête. On passe le ralenti à la télé et je vois que je gagne. Tous les journalistes laissent tomber Ballerini et affluent vers moi. Patrick Chêne avait dit sur France Télévisions que j’avais gagné, le commissaire en bas de piste pensait que j’avais fait 2ème. Mais la photo-finish et le ralenti montrent bien que je gagne.

20 ans après cette victoire, le secteur de Pont-Gibus fait son retour, c’est un bel hommage…
Effectivement, car maintenant sur Paris-Roubaix, j’ai deux secteurs qui portent mon nom. L’un Gilbert Duclos-Lassalle à Cysoing, l’autre Gibus. Il y a peu de champions sur une épreuve qui ont le privilège d’avoir deux endroits personnels.

Vous avez remporté l’épreuve à 38 et 39 ans, peut-on imaginer vivre cela dimanche : le triomphe de l’expérience ?
C’est sûr qu’il en faut pour gagner. On peut la remporter la première année, mais c’est très rare. Je pense que pour dimanche, on a un Fabian Cancellara qui est super fort. Même s’il a chuté par deux fois et qu’il sera un peu diminué, il est au-dessus du lot. On aurait eu une grosse chance s’il y avait eu la pluie pour les coureurs français comme Sylvain Chavanel, Sébastien Turgot, Matthieu Ladagnous, qui ont fait de bons résultats sur Paris-Roubaix. Mais Cancellara est tellement fort en ce moment que je le vois mal être battu dimanche. Même si on ne sait jamais : il peut avoir un incident mécanique et payer ses efforts pour revenir aux avant-postes.

Ne pensez-vous pas qu’il pourrait être trop regardé et que cela profite à un outsider ?
Non, c’est lui qui va dessiner la course. Il va rentrer à Troisvilles dans les vingt premiers. Il va accélérer dans la Trouée d’Arenberg pour voir qui peut suivre, qui est dans le rouge. Et je pense qu’il mettra du panache dans les 30 derniers kilomètres.

Pour vous, il n’y a donc pas de suspense…
Non, pas quand vous avez un super favori. Boonen n’est pas là pour le contrer. Il n’y a personne à son niveau. Pour faire une comparaison avec les secteurs pavés, c’est comme si lui était à cinq étoiles et que les autres sont à trois étoiles.

Comment faire pour le battre ?
Il faut que toutes les équipes lui laissent le poids de la course, du premier au dernier kilomètre. Peut-être qu’on pourra le battre dans ces conditions. On parle des Français, mais il y aura aussi des Flecha, des O’Grady qui sont déjà montés sur le podium et qui voudront briller. Si ces garçons s’échappent, il ne faut pas se découvrir et lui laisser le poids de la course.

Si vous étiez encore coureur, que feriez-vous ?
J’essaierais d’envoyer des équipiers devant et j’essaierais de le surprendre dans sa stratégie de course en le faisant travailler. Comme je l’ai fait en 1993, même si j’étais parti avec le n°1. Quand je suis revenu sur la tête de course, il y avait cinq coureurs de la Mapei. Je leur ai laissé le poids de la course. C’est comme ça que j’ai réussi à les devancer. Si j’avais travaillé, j’aurais certainement été battu.

Aujourd’hui, où sont vos deux pavés ?
Ils trônent dans mon salon sur les enceintes de ma chaîne stéréo, bien à l’évidence. Une amie canadienne de ma fille ne comprenait pas que j’aie deux cailloux comme ceux-là dans mon salon. Je lui ai expliqué ce que c’était. Elle a regardé Paris-Roubaix et elle a compris par la suite ce que représentait cette course.

Propos recueillis à Roubaix le 5 avril 2013.