Du 5 au 7 novembre derniers se sont déroulés à Pruszkow, en Pologne, les premiers Championnats d’Europe Elites de cyclisme sur piste. La sprinteuse française Sandie Clair revient sur son exploit d’avoir remporté deux titres à 22 ans seulement, en vitesse individuelle et en vitesse par équipe.

Sandy, quelles étaient tes prétentions avant ces Championnats d’Europe ?
J’étais partie dans l’espoir de décrocher une médaille en vitesse par équipe tout en sachant que cela resterait difficile. En définitive, on a gagné. C’était la bonne surprise. Quant à la vitesse individuelle, c’était vraiment inattendu. Je me suis étonnée toute seule.

Des championnats programmés très tôt dans la saison, difficile d’en faire un vrai objectif…
En fait, mon objectif de ce début de saison étaient les Championnats d’Europe Espoirs qui avaient lieu du 10 au 15 septembre. Je les ai préparés à fond durant tout l’été et j’en suis revenue avec les médailles d’or du keirin, du 500 mètres et de la vitesse par équipe. Ensuite, à partir de fin septembre, je me suis inscrite dans une préparation de longue durée en vue des prochains Mondiaux de mars 2011. Ce n’était donc pas la grande forme en arrivant à Pruszkow.

Que s’est-il passé entre les qualifications et la finale de la vitesse par équipe ?
D’abord, nous étions ravies car on ne s’attendait pas forcément à aller en finale. On avait le deuxième temps juste à un dixième de seconde des Anglaises. Après, on s’est posé. On ne s’est pas trop mis de pression pour la finale du soir. Nous sommes retournées à l’hôtel pour déjeuner en compagnie de Benoît Vêtu, notre entraîneur, et pour attendre tranquillement l’heure du départ dans nos chambres. On a essayé de ne pas penser à la finale. Il ne faut surtout pas gamberger, ne pas se mettre de pression inutile. Cela peut être le meilleur moyen pour tout rater.

Quelles étaient les consignes de Benoît Vêtu ?
De faire au mieux, de donner notre maximum. Après les qualifications nous avons regardé l’enregistrement vidéo afin de faire le point. Nous avons bien observé le départ, puis le passage de relais en se demandant comment aller chercher ce petit dixième qui nous manquait. On savait que les compteurs allaient être remis à zéro. Ce fut à notre avantage.

Puis arrive l’épreuve du sprint individuel, que tu remportes nettement…
Pendant les qualifications, j’ai établi un nouveau record personnel sur 200 mètres lancés et du coup je me suis retrouvée dans le haut du tableau. C’était un bon début. Par la suite, c’est vrai que j’ai fait de beaux matches, sans erreur technique. Je perds seulement deux manches sur l’ensemble du tournoi, ce qui me fait dire que tactiquement j’étais bien. Je savais que je n’étais pas la plus forte mais la stratégie de course joue pour beaucoup dans cette discipline individuelle.

Qu’est-ce qu’il se dit entre Benoît Vêtu et toi ?
Lors de ce tournoi j’ai voulu visionner mes différents matches. Quelquefois ce n’est pas nécessaire car je sais où l’erreur a été commise mais là, je voulais revoir mes actions ; bien entendu, sans pour autant me réjouir d’avoir gagné une manche ou une autre. Après mes deux manches perdues, Benoît m’a fait remarquer mes maladresses et m’a demandé d’être plus attentive. Il m’apporte également des informations sur la manière de courir de mes concurrentes même si, en général, je préfère arriver sur la ligne de départ en devant me débrouiller seule. Durant ces championnats, ce sont plutôt les sensations du moment qui m’ont guidée dans mes choix tactiques.

Comment travaille-t-on cet aspect à l’entraînement ?
La tactique ne se travaille pas à l’entraînement. Il faut courir pour cela. Plus on court et plus on acquiert de l’expérience qui nous fait progresser. Il nous est impossible de reproduire à l’entraînement les tensions et situations que l’on peut rencontrer en compétition. Aussi, un mauvais temps aux 200 mètres n’engendre aucune conséquence ; alors qu’en course, on se retrouve immédiatement face aux meilleures.

Psychologiquement, comment as-tu géré l’événement ?
Quand on gagne, on a tendance à être plus sûre de soi mais quand on perd une manche, la pression monte. Mon état d’esprit était de faire les choses à fond pour ne rien regretter. J’étais prête à perdre mais à condition de faire de beaux matches. C’est le premier tournoi durant lequel je ne me suis pas posé de question. Parfois je doute, je ne sais trop comment agir et finalement cela fonctionne beaucoup moins bien.

Deux médailles d’or qui n’étaient pas vraiment attendues…
Ah non ! Surtout celle en vitesse individuelle, épreuve au cours de laquelle n’ai jamais eu de bons résultats. Auparavant, mes temps aux 200 mètres me plaçaient forcément en fin de tableau et les meilleures m’éliminaient dès les premiers tours. En Pologne, en arrivant en quart de finale, c’était déjà très bien. En gagnant, ce fut très surprenant, surtout pour les étrangères qui avaient l’habitude de me voir dans les dernières.

De bon augure pour les Championnats du Monde de mars 2011 ?
D’abord, je vais participer à la vitesse individuelle de trois manches de Coupe du Monde. Je dois gagner de l’expérience. Je ne me sens pas encore compétitive au plus haut niveau mondial. Certes, j’ai réalisé d’excellentes prestations mais il ne faut pas oublier qu’il y a des filles bien plus fortes que moi. Il faudra avant tout faire un bon temps lors des qualifications. La vitesse individuelle ne sera pas un objectif pour moi. Je préfère privilégier la vitesse par équipe.

Difficile d’être sprinteuse en France ?
Nous, les filles, nous sommes depuis toujours moins appréciées et moins médiatisées que les garçons. Et sans championne olympique en activité, c’est parfois difficile d’attirer l’attention du public et des médias. Aussi, nous sommes peu nombreuses : il y a les filles des Pôles France de l’INSEP et de Hyères et quelques autres pour lesquelles c’est vraiment difficile. Il y a de gros manques dans le cyclisme féminin, notamment au niveau de l’encadrement spécifique pour l’entraînement du sprint.

Combien de compétitions françaises disputes-tu par saison ?
Les trois manches du Trophée National du Sprint et les Championnats de France. On finit par se retrouver entre filles des Pôles France tellement le fossé est grand entre nous et les autres. C’est bien dommage. Vu le nombre de réunions c’est un peu difficile d’acquérir de l’expérience en course. En revanche, cela nous permet d’effectuer de bonnes préparations pour les grands rendez-vous internationaux.

Dès lors, difficile de gagner sa vie…
J’ai la chance de faire partie de la Gendarmerie Française en tant que gendarme adjointe volontaire. Je dispose d’un statut de sportif de haut niveau ce qui me permet de m’entraîner normalement. C’est une réelle chance. Ils m’aident énormément et se comportent remarquablement à mon égard. Aussi bien l’institution que mes collègues gendarmes de Hyères. Je ne peux que les remercier infiniment. Vraiment.

Les grosses charges soulevées en musculation voire même les vomissements provoqués par des séries d’efforts intensifs font du sprint une discipline exigeante. Comment cela se passe-t-il pour une fille ?
On s’adapte, tout simplement. Il est évident qu’on ne soulève pas les mêmes charges en musculation que les garçons mais comme eux, nous avons mal partout et nous sommes prises de vertiges et de nausées. L’entraînement est fait pour repousser nos limites.

Quel est ton avis sur les photos de Victoria Pendleton qui pose nue sur son vélo, en talons aiguilles ou en nuisette ?
C’est un peu tape-à-l’œil mais c’est vraiment bien. On se doit de rester féminines et coquettes. Nous sommes d’abord des femmes. Moi, j’aime bien me vernir les ongles et courir avec. Il y a aussi des filles qui arrivent maquillées sur la ligne de départ. Quand je suis chez moi, je n’hésite pas à bien m’habiller. La sportive en cuissard est très différente de la femme que je suis dans la vie de tous les jours.

Sandie Clair… aussi longtemps sur un vélo que Jeannie Longo ?
Je ne pense pas ! Je ne sais pas si quand elle avait une vingtaine d’années elle se voyait disputer des compétitions jusqu’à aujourd’hui. C’est vrai aussi, qu’en sprint, l’âge de la trentaine paraît être la limite. Et puis, il ne faut pas délaisser la vie de famille. J’aurais bien aimé avoir un enfant avant l’âge de 25 ans mais pour le moment ce n’est pas ma priorité. Il est certain que l’envie d’être maman ne me fera pas sprinter jusqu’à l’âge de 50 ans.

Propos recueillis par Franco Cannella.