Thomas, vous aviez déjà gagné deux étapes du Tour du côté des Pyrénées, vous voilà vainqueur dans les Alpes. Comment s’est déroulée la journée ?
Il y a eu trois stades aujourd’hui. D’abord la formation de l’échappée, dans laquelle j’ai pu compter sur Yukiya Arashiro, qui m’a donné un bon petit coup de main dans la vallée et au pied du Grand Colombier. Ensuite, dans l’ascension du Grand Colombier, Michele Scarponi a attaqué et j’ai pu le suivre. J’ai alors vu que j’avais de bonnes jambes. Mais étant donné les clients de l’échappée, j’ai voulu assurer le maillot à pois. J’ai dit aux gars que je voulais bien faire la plus grosse part du travail mais que les points au sommet étaient pour moi. Je ne sais pas s’ils ont vraiment joué le jeu, en tout cas j’ai été chercher ces points.

Le troisième stade, c’est le final ?
Oui. Là, sur la fin, j’avais vraiment l’impression d’être plus surveillé qu’un autre. Quand Dries Devenyns a attaqué, personne n’a voulu y aller. En d’autres temps j’aurais été dépité et j’aurais préféré perdre que de contrer pour faire gagner un autre. Mais Andy Flickinger m’a dit de me sacrifier pour ne pas avoir de regrets. Je suis contre les oreillettes d’ordinaire mais là il faut bien reconnaître qu’elle m’a servi. Si ça avait été une arrivée plate, Devenyns aurait été à la victoire. Mais j’ai pu revenir dans le dernier kilomètre.

Les derniers hectomètres ont paru interminables…
Je n’ai cru à la victoire qu’à cinq mètres de la ligne. A 500 mètres, je regarde derrière et je vois Voigt me poursuivre, à 300 c’est Sanchez, à 100 c’est Scarponi. C’était un combat d’homme à homme entre les plus forts et les plus méritants du jour, j’aime bien quand c’est comme ça, et j’aime d’autant plus quand je gagne. J’ai terminé avec une telle douleur ! Je n’ai même pas eu la force de lever les bras tellement c’était violent. Je me suis vraiment sorti les tripes.

Vous voilà en outre détenteur du maillot à pois, ça peut devenir un bel objectif ?
Je savais que le maillot à pois était une possibilité. J’avais déjà porté ce maillot par le passé mais jamais après une étape alpestre. Je ne vais pas vous dire que je ne vais pas me battre pour le garder, ce serait manquer de respect et ce n’est pas dans mon tempérament. Ce maillot signifie beaucoup pour moi. J’ai réussi à suivre Scarponi dans un des cols les plus durs, ça me donne de la confiance et en même temps beaucoup d’humilité. J’ai 28 points or demain le premier col attribuera déjà 25 points. A Paris, c’est 180 points qu’il faudra avoir pour finir avec le maillot à pois, alors je reste très humble devant cet objectif.

Où en êtes-vous avec votre genou douloureux ?
Je sais que ça agace peut-être, mais je ne vais pas vous dire que je n’ai pas eu mal, que je n’ai rien senti, ce n’est pas le cas. Ça fait quelques jours, depuis la Planche des Belles Filles, que je sens que je suis bien établi sur le vélo, que je bénéficie de mes deux jambes, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. Dans la dernière descente, j’ai eu mal quand ça s’est refroidi. Je me suis alors forcé à pédaler et j’ai tâché de ne pas le montrer aux autres. Je m’occupe moins de mon genou ces derniers jours, j’essaie de me reposer quand je le peux. Par moments je ne sens rien, parfois ça revient, mais je ne m’en plains pas. Ça passe au troisième plan après ce que j’ai vécu aujourd’hui.

On sait le Championnat du Monde adapté à vos caractéristiques en septembre, n’avez-vous pas peur de jouer avec le feu dans le cadre de votre préparation ?
Sincèrement je ne crois pas. Si c’était un mal tendineux, je ne pourrais pas pédaler comme je le fais. L’IRM que j’ai passée fin juin avait vraiment révélé une inflammation. Maintenant ce n’est plus le même mal, c’est un mal ponctuel qui me lance de temps en temps mais pas une douleur croissante au fil de l’étape. C’est quelque chose qui va passer avec le temps. Je ne mettrai pas en danger ma santé ou ma carrière, même pour le Tour de France, mais c’est difficile d’être raisonnable parfois, surtout sur des journées comme celle-ci. Pour autant je n’ai pas le sentiment de prendre des risques.

Ce succès d’étape, quand on se rappelle la manière dont vous avez abordé le Tour, c’est inouï ?
Pour être honnête, deux semaines avant le départ du Tour, quand j’ai abandonné à la Route du Sud parce que je ne pouvais plus plier la jambe, je n’étais pas au Tour. J’ai fait huit jours sans vélo pour faire passer ce mal au genou qui n’est pas tout à fait passé. L’inflammation est passée mais j’ai toujours mal du côté du nerf. Avant le Tour j’ai fait dix jours sans vélo, je n’ai repris que le lundi 25, cinq jours avant le départ. Je savais que ça allait être difficile les premiers jours, toute la première semaine. Mais comme je suis loin au général maintenant, je peux courir de la manière que je préfère : attaquer.

Que ressentez-vous au demeurant après l’agitation qui avait régné au Grand Départ de Liège et les suspicions de dérives à votre encontre ?
Je suis obligé d’y penser un peu parce que ça m’a énormément blessé. Dans ma victoire il y a une toute petite part de réponse. Pas de revanche, de réponse. Mais ça passe bien après les sentiments de bonheur et de satisfaction que j’ai pu ressentir après la ligne. Ce que j’aime dans le vélo, c’est la gagne. Ça procure des sentiments qu’il faut être sportif pour connaître ! Sur le Tour, il faut arriver à Paris sans regrets. Aujourd’hui je peux dire que je vais finir mon Tour sans regrets.

Propos recueillis à Bellegarde-sur-Valserine le 11 juillet 2012.