Tom, à l’été 2015, vous aviez annoncé votre renoncement à la compétition, par crainte d’y « sacrifier toute votre existence ». En quoi votre vision des choses a-t-elle évolué aujourd’hui ?
Elle n’a pas vraiment évolué de ce point de vue-là. Je ne serai jamais sportif de haut-niveau toute ma vie car j’adore le sport, mais il ne représente pas toute ma vie. Il y a des dizaines de choses que je veux faire en dehors du sport, et le temps passe. J’ai déjà l’impression d’avoir sacrifié des choses et ça me pose problème. Tant que la compétition cycliste me permet d’ouvrir d’autres perspectives, ça me paraît raisonnable de continuer, mais pour moi ce n’est qu’un sursis.

Après cette annonce, vous n’avez pourtant pas complètement arrêté le vélo. Quelle place a-t-il alors occupé dans votre vie ?
Je suis allé au Japon pour mes études, et pour me donner d’autres opportunités que le sport. C’était même le meilleur moyen que j’avais trouvé pour arrêter sereinement. Mais évidemment, le vélo s’est présenté comme le meilleur moyen pour découvrir le pays, voyager, rencontrer des gens. J’ai entrepris plusieurs voyages à vélo, parfois sur de longues distances, avec rien d’autre qu’un petit sac à dos, en m’arrêtant chez des gens que je ne connaissais pas, parfois plus tranquillement, avec la tente et le matériel de camping. J’ai aussi travaillé en tant que guide chez Cycling Japan, une entreprise qui propose des voyages à vélo.

Existe-t-il une culture cycliste au Japon ?
Il y a une vraie culture cycliste, oui, même si elle est très différente de la nôtre : le système est complètement libéral. La fédération nationale ne gère que les équipes nationales, et les courses sont organisées par cinq fédérations différentes. Résultat, il n’y a pas d’entente, pas d’émulation, et ce sont les coureurs qui en sont victimes. En dehors de la compétition professionnelle, la Japan Pro Tour, la majorité des courses fait à peine 30 à 40 kilomètres, voire souvent bien moins dans les catégories inférieures, pendant que l’engagement coûte entre 50 et 80 euros. Pour vraiment faire décoller le cyclisme japonais, il faudrait totalement refondre la structure du cyclisme, et ça me paraît très difficile dans un pays extrêmement régulé.

Avant de découvrir le cyclisme japonais chez Neilpryde-Nanshin Subaru, vous avez couru en Roumanie chez Tusnad Cycling Team. Comment expliquez-vous que vous vous soyez davantage épanoui dans ces structures exotiques ?
Après mon passage chez les Elites, j’ai mis un petit moment à trouver ma place. Je ne comprenais pas pourquoi je ne terminais même plus les courses, alors que quelques mois plus tôt je faisais partie des meilleurs Juniors français. Pourtant, dès que je sortais du moule de la DN1, j’allais chercher des résultats : en Nouvelle-Calédonie, au Sénégal… Quand j’ai commencé la saison à Saint-Etienne, en 2015, j’ai enchaîné cinq ou six abandons. Le directeur sportif se moquait de moi en disant que j’avais un niveau de coureur 3ème catégorie. Et un mois plus tard, en Roumanie, je faisais de nouveau des résultats sur les courses UCI. Avec le recul, je vois bien que les résultats venaient quand je prenais du plaisir, et je prends du plaisir à faire du vélo quand il y a la découverte, l’aventure, quand j’ai le sentiment de faire quelque chose d’enrichissant.

C’est en vous consacrant à votre autre passion, l’écriture, que vous est venue l’idée d’un nouveau projet cycliste au Japon. Quel a été le déclic ?
L’écriture est ma deuxième passion, et donc la première victime de ma passion pour le cyclisme. En parallèle de ma carrière de coureur, j’ai écrit un roman, mais je n’ai jamais pris le temps de mener ce projet à terme, c’est-à-dire trouver un éditeur, développer un réseau littéraire, organiser la promotion. Puisqu’il n’existe pas d’école pour devenir romancier, je me suis demandé quel était le meilleur chemin pour y parvenir. Pour moi, la chose la plus importante, c’est d’avoir quelque chose à dire. J’en ai donc conclu que la meilleure école, c’était de me confronter à la réalité, d’être curieux, de chercher à m’intéresser à tout. C’est ainsi que je me suis trouvé d’autres objectifs dans le cyclisme : découvrir d’autres cultures, porter un message, faire avancer les choses.

Quelles pistes avez-vous mis en avant pour développer le cyclisme au Japon ?
Quand j’ai commencé à courir un peu avec l’équipe Neilpryde-Nanshin Subaru, une équipe franco-japonaise, je suis rapidement devenu une sorte d’attraction du fait que je parlais japonais. De temps en temps, je rédigeais des billets sur Internet, dans lesquels je donnais mon opinion sur le cyclisme japonais. Ils ont connu un grand succès : chacun de mes articles a été lu plus de 10 000 fois ! J’ai réalisé que j’avais un véritable pouvoir d’action. Au mois d’octobre, j’ai motivé notre manager, Sébastien Pilotte, pour lancer la procédure d’inscription de l’équipe à la licence continentale. On a pris un gros risque, qu’il nous faut encore assumer aujourd’hui, mais je suis persuadé de la réussite de ce projet.

En quoi ce projet sera-t-il différent de celui qui était alors en place ?
L’équipe existe depuis dix ans, avec la double identité franco-japonaise. Jusqu’à maintenant, elle était gérée par deux managers francophones, Stephan Forest et Sébastien Pilotte. Cette année, nous sommes quatre à nous investir dans le projet, avec Florent Horeau, qui nous a rejoints en tant que directeur sportif. L’équipe a construit une base très solide pendant ces dix années, mais n’a jamais trouvé l’opportunité d’exploiter tout le potentiel de sa position avantageuse. Avec notre double identité, nous avons un double potentiel, à la fois en Asie et en Europe. A terme, notre objectif est de devenir la première filière de formation des athlètes japonais, et de nous installer comme la quatrième équipe continentale française, avec un programme mixte.

Le passage à l’échelon UCI a renouvelé l’effectif pour être en phase avec votre projet. Autour de qui s’articule désormais l’équipe baptisée Interpro Cycling Academy ?
Nous avons reçu beaucoup de candidatures, et nous n’avons pas forcément sollicité les coureurs avec les meilleurs résultats sportifs. Mais nos coureurs français ont tous une expérience internationale, et sont capables de s’investir auprès des athlètes japonais. Le programme n’est pas encore officiel, mais nous avons déjà plusieurs invitations sur des épreuves de Classe 1, en France et en Europe. Notre premier front commencera sur la Tropicale Amissa Bongo, puis nous serons présents au Japon pendant le début du printemps avant de décoller pour la France au mois de mai. Notre programme européen sera probablement concentré jusqu’à l’été, puis la fin d’année sera davantage tournée vers l’Asie.

Vous allez vous-même repartir pour une saison de compétition ! Quel sera votre rôle ?
Au début, j’étais parti pour m’investir dans le staff, pas en tant que coureur. Mais Florent, notre directeur sportif, m’a un peu forcé la main. Il m’a fait comprendre que j’aurais mal vécu le fait de ne pas être sur le terrain, alors que je continuais à rouler. Et je pense qu’il avait raison. Cependant, même si je suis dans l’effectif et que je compte bien courir à mon meilleur niveau, je vais avoir un rôle un peu différent des autres. D’abord, je continue mon travail de guide. En pleine saison, il m’arrivera donc de partir en voyage pour trois jours, une semaine, deux semaines… Je ne suis pas là pour les résultats, mais comme je parle les deux langues et que je suis investi dans le projet, je tenterai d’être le ciment, de faire naître la bonne alchimie entre les deux cultures.

Comment avez-vous géré votre reprise de l’entraînement après une année légère ?
L’an dernier, si j’ai participé à quelques courses relevées, j’ai surtout surfé sur la vague, sans entraînement spécifique. Ce n’est pas pareil de reprendre pour être compétitif sur des courses professionnelles après une année à 10 000 kilomètres. Il faut d’abord que je reconstruise une base solide, puis ensuite que je retrouve le rythme de compétition. Je pense que je vais devoir serrer les dents sur les premiers jours de course, mais peut-être que cette pause me sera bénéfique en fin de compte. Quoi qu’il en soit, l’expérience me rend maintenant la tâche beaucoup plus facile, car j’arrive à maîtriser de plus en plus de paramètres.

Vous annoncez chaque année que c’est la dernière, et puis on vous retrouve toujours sur un vélo la saison suivante. Finalement, un lien solide semble vous relier au cyclisme ?
Mes amis me vannent souvent sur mes retraites. Pourtant, à chaque fois, c’était sincère. L’été dernier, j’ai vraiment arrêté, je n’ai pas touché au vélo pendant deux mois. J’ai fait découvrir la France à mon amie, j’ai redécouvert la vie de sédentaire. Mais en fin de compte, il y a toujours quelque chose qui me relie au cyclisme. Le travail, le voyage, les amis, mais peut-être également quelque chose de plus physique. Je conserve tout de même la certitude qu’il vaut mieux pour moi-même et mes proches que je fasse d’autres choix dans les années à venir. Par contre, maintenant, j’arrête de dire que j’arrête.