Un jour sur deux, Daniel Mangeas, l’inimitable voix du Tour, nous confie ses mémoires de speaker, lui qui fut témoin pendant quarante ans de toutes les arrivées d’étapes du Tour de France. Il tirera sa révérence au terme de la 101ème édition le 27 juillet.

« Ce 18 juillet 1995 restera la journée la plus bouleversante dans mon métier. Ce jour-là un coureur a perdu la vie sur la route du Tour de France : Fabio Casartelli. Il y a des choses parfois surprenantes qui vous restent marquées. Ce matin-là, nous partons de Saint-Girons pour rejoindre Cauterets. Fabio Casartelli, que je n’ai pour ainsi dire pas vu depuis le début du Tour, puisqu’il vient signer la feuille de départ au milieu de tous les autres coureurs, se pointe cette fois tout seul, parmi les premiers. Je prends alors le temps de le présenter en long et en large : « Fabio Casartelli, champion olympique en titre et grand espoir du cyclisme italien… » J’entre dans les détails de sa jeune carrière avant qu’il ne s’éclipse. La cérémonie matinale terminée, on prend la route de Cauterets.

80 kilomètres s’écoulent, nous nous arrêtons dans un café qui diffuse les images du Tour de France, dont l’étape est retransmise en intégralité ce jour-là. Et je vois un coureur à terre. Avant même qu’on nous dise qui est ce coureur, je le reconnais. C’est Fabio Casartelli. Son image va nous suivre toute la journée.

En remontant dans la voiture, nous recevons la radio par bribes. Mais j’entends une voix dont je me souviendrai toujours, celle du directeur du Tour Jean-Marie Leblanc annonçant le décès de Fabio Casartelli. Je vais devoir commenter l’arrivée avec retenue. Je ne l’annoncerai pas au public, me contentant de dire que le Tour de France a vécu un drame, mais les gens le savent. Déjà, toutes les radios diffusent la dramatique information.

Côté course, l’information n’a pas été communiquée aux coureurs. Richard Virenque est échappé. Il s’en va gagner sa deuxième étape sur le Tour et monte sur le podium sans avoir été mis au courant ni par la direction ni par son entourage. Je me trouve de l’autre côté du podium et je n’ai pas moyen de l’approcher non plus pour l’en informer. Quand il monte sur le podium, Richard exulte. Beaucoup le lui reprocheront alors qu’il n’y était pour rien. Il aurait été plus judicieux de lui faire part de cette douloureuse information avant qu’il ne monte sur le podium.

C’est une journée marquante. Je suis quelqu’un d’émotif et de sensible. J’ai été malade toute la nuit. Le lendemain matin à Tarbes, il faut pourtant reprendre le micro. Il règne une tristesse parmi les coureurs, dans la caravane du Tour, auprès du public. Mais il faut faire la présentation quand même. Ce devait être une fête, marquée par la présence d’Yvette Horner, mais c’est la douleur qui l’emporte. Ce jour-là, je le revois comme si ça s’était passé hier matin. Dans le cirque, on dit que le spectacle continue, le Tour de France continuait mais ce jour-là le cœur de tous les suiveurs pleurait. »

Daniel Mangeas