Julien, commençons par remonter le temps. Dans quel état d’esprit étais-tu avant tes sélections pour Athènes en 2004 et Pékin en 2008 ?
Plutôt serein. On pourrait même remonter un peu plus loin, en 2000. A l’époque j’étais premier remplaçant pour Sydney, à même pas 20 ans. J’étais passé proche de la sélection. En 2004, la question s’est moins posée. J’ai eu ma place assez tôt en équipe de France, ce qui m’a permis de préparer sereinement l’échéance olympique sans avoir à me focaliser sur ma qualification. C’était pareil en 2008, ce sera pareil cette année. J’ai toujours pu préparer mes échéances olympiques sans avoir ce casse-tête de la sélection.

Tu vois cela comme un luxe ?
C’est toujours mieux, ça permet d’avoir le meilleur timing possible, pouvoir gérer son calendrier sans avoir à être à 100 % en début de saison pour se qualifier, devoir ensuite récupérer et attaquer sa préparation olympique pour être à nouveau opérationnel pour les Jeux. Dans mon cas, l’objectif reste tout de même d’être performant en début de saison, mais en gardant de la réserve pour être à 100 % de mes capacités le jour des Jeux.

N’est-ce pas en revanche un risque pour les autres pilotes français candidats à une place en équipe de France ?
Le risque est assez mesuré en France, car nous avons quand même la chance d’avoir une sélection qui va tomber assez tôt, le 5 juin, ce qui permettra à chacun de se préparer correctement pour l’événement. Le but n’est pas de sélectionner des pilotes cuits qui n’auront plus une cartouche à Londres. Dans d’autres pays, comme la Suisse, ce sera en revanche peut-être plus difficile. Nino Schurter a déjà sa place, il en reste deux pour énormément de coureurs. Ils n’ont pas le choix : ils doivent être au top dès maintenant. Et peut-être ne pourront-ils pas tenir ainsi jusqu’au mois d’août.

Tu viens de vivre ton troisième hiver préolympique, as-tu apporté des modifications à ta préparation par rapport à Athènes et Pékin ?
Les différences, elles viennent surtout des modifications des règlements, des circuits et des temps de course. Il m’a fallu travailler différemment. Depuis quelques années, je travaille également en enduro avec mon frère Rémy pour continuer à perfectionner mon pilotage et me sentir plus à l’aise sur des circuits à haute vitesse avec des obstacles artificiels. J’ai adapté mon entraînement et ma préparation à ces nouveaux règlements.

L’épisode de ta fracture du pouce ne t’a finalement pas trop perturbé ?
Non, j’aurais pu m’en tirer vraiment beaucoup plus mal. J’ai fait une grosse chute mais elle restera sans conséquence sur le timing. J’ai été arrêté quatre jours et j’ai pu reprendre l’entraînement sur route au bout de quinze jours. Je n’ai pas perdu physiquement, j’ai vite repris mes marques en VTT, je m’en suis rendu compte avec ma 4ème place en ouverture en Coupe du Monde.

Cette 4ème place à Pietermaritzburg, elle allait au-delà de tes espérances ?
L’objectif était un Top 5 donc j’étais dans le tempo. 4ème, c’est bien et c’est rassurant. C’est la première fois que je m’alignais au départ d’une Coupe du Monde avec si peu de compétitions dans les jambes : deux courses sur route et une course VTT. C’était ma quatrième course de la saison, c’est un peu léger. Réussir à décrocher une 4ème place, c’était très bien, sachant qu’un grand nombre de pilotes sont déjà au taquet en cette année olympique. Je m’attendais à trouver un niveau plus élevé que l’année dernière du fait de la course à la sélection.

Ça confirme un bon degré de forme, où l’estimes-tu ?
Je sais qu’il y a encore du travail. L’objectif est de continuer à travailler bien jusqu’à Houffalize pour y être à 90/95 % de mes capacités. A ce niveau-là, 5 % c’est énorme. C’est pourquoi c’est difficile de s’exprimer en pourcentages ou de quantifier sa condition. Ce qui fait la différence au top niveau, ce sont des choses infimes. L’objectif est d’être en très bonne condition à Houffalize et de poursuivre ma progression en vue de la manche de La Bresse, bien sûr !

Comment sens-tu cette manche vosgienne de la Coupe du Monde, dans ton jardin ?
Ce sera mon premier objectif. Ça marquera la fin de ma première partie de saison avant d’attaquer la seconde avec la préparation olympique. L’objectif est d’arriver à 100 % à La Bresse et d’essayer de décrocher une victoire devant mon public. C’est une occasion qui ne se représentera peut-être jamais. Dans tous les cas ça va être grandiose d’avoir l’honneur de courir une Coupe du Monde à 20 kilomètres de chez moi, devant mon public. Quand on voit le monde qui s’est déplacé pour la Coupe du Monde DH ou pour la Coupe de France par le passé à La Bresse, j’imagine que ça va être une énorme fête.

Ce sera une piste pour Julien Absalon ?
Pas spécialement. Les organisateurs ont un cahier des charges et un site à respecter. Ils ont pris le pari de tout faire en centre-ville ! J’ai découvert le premier circuit qu’ils avaient tracé. J’ai donné mon ressenti, des conseils, ils en ont tenu compte pour adapter le circuit aux nouveaux standards. Je ne suis pas rentré dans les Vosges mais je suis impatient de découvrir tout ce qu’ils ont construit depuis : les passerelles en bois, les modules…

As-tu fait des changements matériels ?
Nous avons fait évoluer le matériel l’an passé dans le but de le valider complètement au moment du test olympique. J’ai malgré tout travaillé un petit peu sur la géométrie en augmentant mon angle de fourche. Je le voulais plus ouvert pour plus de stabilité à haute vitesse vu que les circuits sont maintenant plus rapides.

Jaroslav Kulhavy sera novice dans cette olympiade, tu en seras à ta troisième expérience, est-ce un avantage ?
Je sais que l’un de mes gros avantages sur mes concurrents sera l’expérience. Ce sera ma troisième olympiade. Je serai le seul favori au départ à avoir déjà remporté les Jeux. Cette expérience, c’est sûr qu’elle va me servir et que je vais m’en servir. Ce sera l’une de mes cartes-maîtresses.

Etre porte-drapeau, entre la déperdition d’énergie que ça entraîne et la représentativité que ça offre au VTT, que choisis-tu ?
C’est déjà un grand honneur de faire partie des prétendants finaux au poste de porte-drapeau. Nous sommes sept ou huit grands athlètes à figurer dans cette liste. Dans tous les cas je ne le refuserai pas, mais je n’y pense pas car ça ne sert à rien de tirer des plans sur la comète. L’autre grande chance, c’est que Londres est à côté de Paris, on n’aura pas le souci du trajet comparé à Pékin. Ça me permettra aussi d’être à Val d’Isère sur la seconde manche française de la Coupe du Monde, que je ne veux pas manquer.

Au milieu de cela, il y aura les Championnats de France. Garder ton titre national sera un rendez-vous important ?
C’est un maillot qui me va bien. J’ai la possibilité de le remporter une dixième fois, ce qui serait historique. En plus, le Championnat aura lieu aux Gets, et là aussi c’est chez moi. Le parcours n’aura rien à voir avec celui des Mondiaux 2004. Nous serons au bas de la station, sur un site tout à fait nouveau pour la descente comme le cross-country.

Avec qui te vois-tu faire équipe à Londres ?
Je crois que pour l’instant c’est assez simple, pour les hommes en tout cas. Si la hiérarchie reste ce qu’elle est, ce sera Maxime Marotte, n°5 mondial et Stéphane Tempier, dans le Top 10. Ils ont confirmé en Afrique du Sud leur saison 2011. Chez les filles ce sera très disputé et très ouvert pour la place qui reste derrière Julie Bresset.

Propos recueillis à Saint-Raphaël le 31 mars 2012.