Le nom de Louis Rostollan vous dit-il quelque chose ? Aux plus anciens, certainement. Equipier fidèle de Jacques Anquetil, il fut coureur cycliste de 1953 à 1967 et vainqueur, notamment, du Critérium de Dauphiné Libéré, du Tour de Romandie (deux fois), de la montée du Mont Faron, de la Polymultipliée, des Monts d’Auvergne et des Boucles de la Seine, auxquels on peut ajouter de nombreuses places d’honneur dans les plus grandes courses et championnats nationaux.

Véritable force de la nature, grand gabarit (1,87 mètre), des jambes interminables, élégant sur le vélo, Louis Rostollan impressionnait véritablement par sa puissance. On le surnommait « Pétrolette ». Quand il prenait la tête du peloton, il mettait tout le monde dans le vent.

Louis Rostollan aime raconter deux événements de sa carrière, vécus en compagnie de Jacques Anquetil. L’un a pour décor le Giro 1960, l’autre le Tour de France 1964.

En 1960, Anquetil devient le premier coureur français à remporter le Giro. Pourtant, le 8 juin, veille de l’arrivée, le terrible col du Gavia (2652 mètres, 20 kilomètres d’ascension sur route en terre à l’époque) va manquer de ruiner les espoirs de Maître Jacques alors Maillot Rose. A 2 kilomètres du sommet, dans une pente à plus de 9 %, Louis Rostollan voit Jacques Anquetil devant lui, qui semble ne plus avancer. Le Normand est victime d’une défaillance et est en train de perdre le Giro… Rostollan fait ces 2 derniers kilomètres à l’américaine avec Anquetil, lui tendant la main et le projetant vers l’avant, comme sur un vélodrome. Ensuite, il sprinte pour se replacer devant puis recommence la séquence. Pas vraiment autorisé, sans doute, mais nous sommes en 1960, au Giro, et Gastone Nencini, rival d’Anquetil, est poussé pendant une bonne partie de l’ascension par les tifosi…

Sa dernière victoire dans le Tour de France en 1964, Jacques Anquetil la doit là aussi entre autres à… son équipier Louis Rostollan. Le 6 juillet 1964, au lendemain du fameux méchoui de la journée de repos dont la rumeur prétend qu’Anquetil y fit la fête, une étape Andorre-Toulouse, 186 kilomètres avec le Port d’Envalira (2407 mètres, 27,5 km à 5 %) dès le départ, attend le Tour. Etant donné qu’il restera ensuite 160 kilomètres à peu près plats pour rallier Toulouse, personne dans l’équipe d’Anquetil ne pense à une offensive d’envergure. Et pourtant…

Federico Bahamontès (3ème) attaque d’emblée, avec Raymond Poulidor et d’autres coureurs. Anquetil a les grosses cuisses, il ne peut suivre le rythme. Rostollan aide son leader, le pousse… mais le patron du Tour Jacques Goddet voit le manège et menace Rostollan de la mise hors course. Jacques Anquetil ne va pas bien du tout, il veut abandonner ! Alors Louis, qui a plus d’un tour dans son sac, s’y prend en deux temps. Il abreuve d’abord son leader d’injures, les deux coureurs s’engueulent en continuant à pédaler. Puis il ordonne à son leader d’écarter le coude, lui glisse le sien en dessous, accélère progressivement… et l’emmène ainsi vers le sommet du col. Nouvelle colère de Jacques Goddet, mais Rostollan fait remarquer qu’il a les mains sur le guidon et que dès lors on n’a rien à lui reprocher !

Basculant avec quatre minutes de retard au sommet, Jacques Anquetil a virtuellement perdu le Tour de France à ce moment, mais au prix d’une descente à fond les manettes, il recollera au groupe de tête. Le Normand sera pénalisé de 15 secondes (!) pour l’épisode quelque peu limite du Port d’Envalira. Cette année-là, il devancera Poulidor de 55 secondes à Paris.

L’ouvrage de Louis Rostollan comprend aussi de nombreux autres souvenirs d’un coureur qui a marqué son époque, et il plaira à tous les amateurs de vélo. Comme le bouquin de Lucien Aimar présenté la semaine dernière, il nous parle d’une époque révolue mais ô combien passionnante.

Au cœur de l’âge d’or (Editions Richard Patrosso), par Louis Rostollan. 365 pages. 25 €. – www.richardpatrosso.fr