Pour évoquer la place de la course, il convient d’en rappeler quelques caractéristiques historiques. Sans remonter jusqu’aux 1ères éditions qui ont principalement intéressé les espagnols, dans un passé plus récent citons le déplacement de l’épreuve au mois d’août qui date de 1995. En effet, jusqu’en 1994 elle se déroulait au mois de mai. Ce déplacement se justifiait – et trouve encore sa raison d’être encore aujourd’hui – pour éviter la concurrence du Tour d’Italie et permettre également une préparation pour les Championnats du Monde, qui avaient vu leur date repoussée d’un mois également.

L’idée était ainsi d’avoir une 2ème partie de saison avec un Grand Tour plutôt que de concentrer les 3 avec en point d’orgue le Tour de France en Juillet.

Parmi les autres dates récentes marquantes :

-Depuis 1994, la course se termine systématiquement à Madrid la capitale. Difficile de s’empêcher d’y voir une volonté de suivre les traces du Tour avec l’arrivée mythique des Champs-Elysées. Avant cela, la ville accueillant la fin de l’épreuve variait selon les éditions, souvent à Madrid, Bilbao (dans les années 1950), ou encore San Sébastian (dans les années 1970).

-En 1997, la Vuelta s’élance pour la première fois en dehors de l’Espagne, à Lisbonne, au Portugal.

-En 2009, la course s’élance pour la première fois en dehors de la péninsule ibérique, à Assen, au Pays-Bas.

L’Angliru cette montée devenue un mythe

En 1999, la course passe pour la première fois par l’Alto de l’Angliru, un col situé dans la région des Asturies. L’ascension est notamment réputée pour être une des plus difficiles d’Europe avec le Mortirolo, Plan de Corones, ou Zoncolan (Italie) et le Kitzbüheler Horn (Autriche). C’est depuis devenu un classique de la compétition qui est régulièrement proposé. La 1ère ascension en course de ce « chemin de chèvres » nouvellement asphalté pour les besoins de la course avait fait grand bruit auprès des coureurs qui avaient manifesté leur mécontentement à propos de cette montée nécessitant l’utilisation de braquets de VTT. De plus, les scandales de dopage dus à l’affaire Festina de l’année précédente avaient incité les organisateurs des grands Tours à revoir à la baisse la difficulté des parcours proposés. L’Angliru dérogeait donc à cette règle tacite qui voulait que le dopage était accentué sur les Grands Tours et surtout face à la répétition des efforts. Signalons également qu’à l’époque, les cassettes ne comportaient que 9 pignons et l’éventail des développements n’était pas aussi large qu’aujourd’hui. De nombreux coureurs, parmi les non grimpeurs surtout avaient employé un triple plateau. C’était le regretté José Maria Jimenez qui s’y était imposé.

Depuis, la Vuelta est retournée 6 fois là haut mais il est clair que le nom de l’Angliru est devenu mythique auprès des fans de cyclisme : l’étroitesse de la route, les pentes extrêmes, les coureurs (même les meilleurs grimpeurs du monde) puisant dans leur réserve pour monter à 10 km/h, les spectateurs poussant la plupart des coureurs ne jouant pas le général. En 2002, si David Millar avait abandonné le soir même en signe de protestation face à la pente et aux conditions météo déplorables (et également 2 chutes), l’image de la Vuela a beaucoup gagné grâce à ce sommet.

Par la suite, et face au côté spectaculaire et télégénique des pentes à 20%, les organisateurs ont multiplié les arrivées courtes et pentues, au sommet des Miradors dont Joachim Rodriguez s’était fait le spécialiste, lui qui était le meilleur puncheur de son époque.

Des retournements de situation ou des victoires à l’arrachée

L’édition 2012 est probablement restée dans les mémoires de tous… et en travers de Joachim Rodriguez qui était le plus fort cette année là. Après avoir été régulier sur les 9èmes étapes (une victoire et plusieurs places de 2ème), il compte alors 53 secondes d’avance sur Froome avant le CLM. Alors que ce n’est absolument pas sa spécialité, Rodriguez est septième de cette étape à 1 min 16 secondes du vainqueur, Fredrik Kessiakoff et sauve ainsi son maillot rouge pour une seconde sur Alberto Contador. Vainqueur devant Contador des 12e et 14e étapes et troisième de la 16e étape, toutes se terminant par des arrivées en montée, Rodriguez porte son avance sur son rival à vingt-huit secondes. Les étapes restantes ne sont pas aussi difficiles et les suiveurs s’attendent à enregistrer la 1ère victoire de Rodriguez sur un Grand Tour (et finalement la seule). Pourtant, au lendemain de la deuxième journée de repos, alors que Rodriguez n’est probablement pas attentif, Contador attaque à 50 kilomètres de l’arrivée de la 17e étape, durant l’ascension de la Collada La Hoz un col de 2ème catégorie. Il distance Rodriguez et bénéficie de l’aide de trois coéquipiers présents dans l’échappée du jour puis de celle de Paolo Tiralongo (comme le veut la formule, « adversaire puisque dans une autre équipe mais néanmoins ami ») pour accentuer son avantage. Contador s’impose avec 2 minutes 38 secondes et prend alors le maillot rouge, Rodriguez reculant à la troisième place derrière Alejandro Valverde. Le classement général ne bougera pas jusqu’à Madrid.

Sans vouloir détailler d’autres éditions comme le cru 2012, l’épisode 2011 a valu aussi le spectacle avec la victoire de Juan José Cobo (aujourd’hui déclassé) pour quelques secondes devant Chris Froome devenu leader après la défaillance relative de Bradley Wiggins.

En 2013, le « vieux » Christopher Horner (42 ans) qui a résisté jusqu’au bout aux assauts d’un Vincenzo Nibali quelque peu fatigué par sa saison.

2015 a vu l’avènement de Tom Dumoulin, encore leader 2 étapes avant l’arrivée à Madrid avant de s’écrouler (6ème au final) pour laisser Fabio Aru à la 1ère place.

En 2016, Nairo Quintana qui a bénéficié des talents d’attaquant d’Alberto Contador en piégeant Chris Froome en tout début d’étape menant à Formigal.

Caractéristiques

Encore une fois, le propos n’est pas de reprendre année après année pour en faire un résumé mais il apparait clairement que les scenarii de la Vuelta ne seraient probablement pas envisageables sur le Tour de France, dont le déroulé est nettement plus stéréotypé même si le cru de juillet 2019 a tenté de fausser la règle jusqu’au bout.

Malgré tout, la Vuelta n’arrive souvent qu’en 3ème position dans la liste du prestige des Grands Tours. En effet, il arrive rarement qu’un leader du général clame en début de saison son envie de briller sur le Tour d’Espagne. La façon de procéder est souvent la suivante pour ces spécialistes des Grands Tours : objectif Giro ou Tour puis… « on verra ». En effet, quand les programmes et objectifs de l’année sont décidés il est difficile voire impossible pour les coureurs comme pour le staff des équipes de prédire quel sera le niveau de motivation et de fatigue après autant de préparation, de kilomètres et de courses. Bien souvent, le programme est établi à l’issue du Tour de France. La Vuelta est alors régulièrement envisagée en tant que 2ème Grand Tour sur la saison pour les coureurs du général aguerris c’est-à-dire en pleine force de l’âge.

Pour d’autres qui visent les Championnats du Monde, cette course de 3 semaines est une préparation idéale pour viser le maillot irisé. En effet, à cette époque de l’année, il est parfois moins difficile de boucler une Vuelta plutôt que de se partager entre stages d’entrainement et courses d’un jour, 2 conditions nécessaires afin d’être prêt fin septembre. Beaucoup de coureurs parviennent à élever leur condition physique en Espagne : Peter Sagan est l’exemple le plus récent, lui qui a enchainé 3 fois victorieusement Tour d’Espagne et Championnats du Monde. Thibaut Pinot, intenable en toute fin de saison 2019 était aussi passé par la Vuelta en se montrant de plus en plus à son avantage au fil des jours (2 victoires d’étapes, 6ème au général).

Au final, si le Tour d’Espagne reste probablement en 3ème place dans l’échelle du prestige des 3 Grands Tours après une saison qui est déjà longue pour beaucoup de coureurs. En effet, les coupures sont souvent rares depuis la reprise sérieuse de l’entrainement en novembre et les 1ères courses en février avec déjà, une bonne condition physique – ce constat étant valable seulement dans le cyclisme moderne où tous les coureurs naviguent à un haut niveau de condition physique toute l’année. Donc la Vuelta permet à certains de se rattraper après la 1ère partie de la saison.

Mais demandez aux coureurs qui en ont empoché le général s’ils fermeraient les yeux sur cette victoire chèrement acquise au profit d’une course d’une semaine.

Demandez aussi si Valverde n’a pas puisé en Espagne son incroyable régularité aux places d’honneur et une victoire méritée pour l’ensemble de son œuvre aux Championnats du Monde.

Dans les 2 cas, nous connaissons probablement déjà la réponse.

Par Olivier Dulaurent