Cette pause relative par la notoriété nous permet de faire un zoom sur le cyclisme féminin. Et à la manière des interviews des mécaniciens des équipes hommes que vous retrouvez chaque semaine dans Vélo 101, nous avons rencontré cette semaine l’un de leurs homologues œuvrant chez les filles, travaillant pour la même équipe depuis 5 ans. Et pas n’importe quelle équipe puisqu’il s’agit de Trek Segafredo dont il existe évidemment l’équivalent masculin.

– Quand vous discutez avec vos collègues qui travaillent pour des équipes de garçons, quelles différences voyez-vous ?

C’est une très bonne question. Tout d’abord je tiens à signaler que la marque Trek ne fait pas de différence entre filles et garçons quant au matériel lui-même. Les vélos sont donc les mêmes et c’est une bonne chose.

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– Avec vos 5 ans d’expérience dans ce monde, diriez-vous que les filles sont plus professionnelles, plus précises ?

Ca devient de plus en plus pro, c’est certain. Au début j’avoue qu’il était relativement difficile d’obtenir auprès d’elles des informations mais aujourd’hui, elles comprennent de mieux en mieux quels sont leurs réels besoins de matériel sur une course. Elles deviennent effectivement plus précises dans leurs demandes auprès de nous les mécaniciens. Depuis, elles posent de nombreuses questions (et les bonnes !) sur quel serait le meilleur cadre, quelles roues utiliser pour aller plus vite, etc.

– Au sein de l’équipe, vous avez des coureuses qui viennent du monde entier. Est-ce que l’approche est similaire entre les filles qui viennent de l’Amérique du Nord et celles de l’Europe ?

En Europe, c’est nettement plus ancré dans la culture au niveau des courses, depuis si longtemps. Venant de l’Amérique il y avait beaucoup à apprendre. Mais je note une grosse différence depuis 1 an avec d’importants progrès dans la compréhension et la gestion des courses.

– Nous avons le sentiment vu d’ici qu’en Europe, les filles sont plus réticentes pour utiliser les nouvelles technologies. Elles ont tendance à attendre et encore attendre. Par exemple, sur les vélos à disques ou le mono plateau avec Sram. Quel est votre sentiment là-dessus ?

Je pense que les filles venant du VTT ou qui arrivent tout juste dans le monde pro, sont réceptives à ces nouvelles techniques. Au contraire, les filles qui sont sur le circuit depuis longtemps, qui viennent par exemple d’équipes italiennes ou françaises disent plutôt « non, nous n’en voulons pas ». Mais souvent, elles n’ont pas essayé. Les américaines sont plus souvent dans le discours « oui, c’est ça que nous voulons », comme pour les disques effectivement.

Cette année, quand nous avons discuté avec Sram qui devenait notre partenaire, nous étions très excités, notamment à propos des 12 vitesses et globalement pour atteindre les meilleures performances possibles.

Pour notre équipe, quand nous avons imaginé le vélo de Contre La Montre et le cadre aéro, sans câbles avec technologie Bluetooth pour le changement de vitesse, tellement rapide d’ailleurs, c’était une réelle avancée.

– Quand on discute avec vos collègues, ils nous expliquent leurs moyens de communication avec les coureurs (et coureuses). Et ils utilisent donc des moyens comme WhatsApp pour communiquer avec leurs mécanos alors qu’avant il existait un contact systématiquement direct, par la force des choses. Certains de vos confrères regrettent cette période, « le bon vieux temps ». Quelle est votre opinion là dessus ?

Généralement sur une course, nous utilisons un groupe WhatsApp ce qui nous permet de répondre manière très efficace une demande telle que « j’aimerais ceci ou ceci pour demain ». Notamment pour des roues carbone hautes ou basses. Et tout ceci se fait très rapidement pour changer justement de roues avec une hauteur différente. Ce gain de temps est quelque chose qui peut être important en termes de récupération pour que l’athlète se concentre sur ce point plutôt que de « travailler » sur le matériel.

Nous sommes très ouverts par rapport à tout cela et nous cherchons à avoir le meilleur pour nos coureuses donc ce qui est bon pour elle est bon pour nous.

– Nous sommes aujourd’hui au départ d’un Contre La Montre. Est-ce pour vous une journée stressante, je pense notamment au contrôle des vélos avec les commissaires ?

C’est probablement la journée la plus délicate en effet d’une course par étapes. Mais nous sommes confiants car nous utilisons des prises de cotes sur mesure qui nous permettent de passer les contrôles avec les commissaires sans soucis. C’est vrai que ce n’est pas toujours le cas avec d’autres équipes qui doivent opérer des changements de dernière minute avec les prolongateurs ou bien changer de selle. Il reste que c’est quand même une journée stressante car une fille souhaite parfois une modification au dernier moment. Comme par exemple, nous avons aujourd’hui un parcours de chrono  très vallonné et il est possible que certaines filles ne veuillent pas utiliser leur vélo de chrono. Nous verrons bien !

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– Quel sera votre rôle aujourd’hui ?

Mon plan pour aujourd’hui est de suivre Tayler Wiles. Nous avons pour elle un vélo de remplacement sur le toit. Nous avons un autre mécanicien qui va suivre d’autres filles et d’autres qui vont rester au camion pour être sûrs que les filles ont tout ce dont elles ont besoin et que leur vélo fonctionne correctement.

Les gens de Sram nous ont déjà parlé de l’excellent feedback qu’ils reçoivent de la part de l’équipe féminines Trek Segafredo, peut-être même meilleur que celui de l’équipe masculine. Sur cet aspect, direz-vous qu’elles sont plus professionnelles que les garçons ?

Non, je ne pense pas que l’on puisse cela en ces termes, je ne peux pas dire ça. Ce que je pourrais dire c’est que Sram est très actif. Nous avons beaucoup de chance de les avoir comme partenaires. Ils sont très présents, très impliqués pour vérifier que nous n’avons pas de soucis avec leur matériel.

– Au début où les vélos pour les femmes sont arrivés, les constructeurs ont semblé poser ça et là du rose sur les cadres en expliquant « regardez, nous avons fait ceci pour le matériel féminin ». Pensez-vous que ce temps est révolu ?

Le rose est toujours présent c’est certain mais nous sommes dans une période nettement plus professionnelle. Nous sommes clairement à un niveau jamais atteint pour le côté professionnel.

Oui, ce temps est terminé. Aujourd’hui, tout est très professionnel. Depuis 2 ans, nous avons un grand bus. Tout se modernise et se professionnalise à présent.

– Suivez-vous ce que font vos concurrents, à propos de la technique, groupes, roues ?

Vous voyez les mêmes personnes sur chaque course. Nous avons de bonnes relations, amicales je dirais et échangeons quelques informations avec eux.

– Comment voyez-vous votre métier et vous dans 10 ans ?

J’aimerais continuer sur le circuit féminin qui est une grande famille donc ma préférence serait de continuer mais une petite chose qui est dans un coin de ma tête serait aussi de vivre le Tour de France.

Enfin, pour revenir du côté des garçons, pas de changement sur les points WT Matériel 101 : Specialized/Shimano/Roval dominent toujours les débats.