En cette matinée froide, mais ensoleillée, la grand-place de Bruges est noire de monde. Une partie de la Flandre s’est amassée au pied du beffroi de la « Venise du Nord » pour entrapercevoir ses champions. Le départ est donné sur les coups de 10 heures pour 256 kilomètres émaillés de dix-sept bergs. Autant d’arrêts sur le chemin de croix des coureurs en ce dimanche pascal. Pas tête en l’air pour deux sous, ils sont tous au départ et n’ont pas oublié d’avancer leur montre d’une heure dans la nuit de samedi à dimanche. Pour ce deuxième monument de la saison, les conditions sont meilleures que celles vécues lors de Milan-San Remo (pouvaient-elles seulement être pires ?), mais on est bien loin des températures douces de l’an dernier. Le mercure ne dépasse pas les 0° et c’est bien emmitouflés que les participants prennent le départ.

Avant ce monument qu’il a déjà remporté à trois reprises, Tom Boonen (Omega Pharma-Quick Step) inquiète sur son état de forme. Ses supporters n’auront finalement pas de réponses. Au kilomètre 19, le champion de Belgique s’effondre sur le côté de la route. L’Anversois grimace, tente de se relever avant de s’asseoir à nouveau. L’ancien champion du monde quitte la course en montant dans une ambulance. Direction l’hôpital de Roulers. Le diagnostic paraît moins grave que prévu. Boonen souffre de contusion à la hanche gauche et d’une blessure au coude gauche. Le Belge devra se faire poser quelques points de suture au niveau du genou droit. Les premières radios n’ont pas montré de fractures, mais il est d’ores et déjà forfait pour le Grand Prix de l’Escaut mercredi et surtout, pour Paris-Roubaix dimanche prochain.

Est-ce parce que le peloton est perturbé par l’abandon prématuré du vainqueur sortant ou est-ce parce qu’il est engourdi par le froid, toujours est-il que la traditionnelle échappée matinale mettra du temps à se dégager. Le paquet file à toute allure pendant les deux premières heures de course. Il faut attendre le Tiegemberg, première ascension de la journée, pour que sept hommes se portent en tête. Jetse Bol (Blanco), Kevin Claeys (Crelon-Euphony), Tim De Troyer (Accent Jobs-Wanty), Laurens de Vreese (Topsport Vlaanderen-Baloise), Michael Morkov (Team Saxo-Tinkoff), Jacob Rathe (Garmin-Sharp), Tosh Van Der Sande (Lotto Belisol) vont prendre jusqu’à 3’40 d’avance, mais ne vont pas rester ensemble bien longtemps. L’équipe Europcar met tout en œuvre pour revoir rapidement les échappées.

Un départ rapide qui précède une course d’attente

Une fois l’écart resserré, un petit groupe opère la jonction. Sous l’impulsion d’André Greipel (Lotto-Belisol) rejoint par Michal Kwiatkowski (Omega Pharma-Quick-Step), Maarten Tjallingii (Blanco) et plus tard par son coéquipier Marcel Sieberg, les fuyards sont repris puis lâchés. Il ne reste que deux survivants du groupe initial : De Vrees et Bol. Le premier enchaînement crucial approche et les RadioShack de Fabian Cancellara se postent en tête de peloton. Les coureurs de la formation luxembourgeoise veulent placer le Suisse dans des conditions optimales pour la première ascension du Vieux Quaremont et du Paterberg. À plus de 80 kilomètres de l’arrivée, les favoris restent au chaud et les hommes de tête comptent encore un peu plus d’une minute d’avance. Rien à signaler sur ce premier moment stratégique, si ce n’est l’embouteillage qui survient dans le Koppenberg, poussant certains à poser pied-à-terre.

La deuxième boucle ne donnera pas plus d’attaques des favoris, mais certains tentent crânement leur chance. Sébastien Minard (Ag2r La Mondiale) et Mirko Selvaggi (Vacansoleil-DCM) reviennent sur le groupe de tête. Au sommet du Hoogberg/Hotond et alors qu’il ne reste que les deux dernières ascensions redoutées par tout le monde, les Français Sébastien Hinault (IAM Cycling), Yoann Offredo (FDJ) et Sébastien Turgot (Team Europcar) accompagnés du Belge Jurgen Roelandts (Lotto-Belisol) se joignent à la tête où ne figurent plus que Selvaggi et Kwiatkowski. Les outsiders comme Sylvain Chavanel (Omega Pharma-Quick Step), Juan-Antonio Flecha (Vacansoleil-DCM) ou autres Filippo Pozzato (Lampre-Merida) ne tentent pas d’anticiper donnant ainsi lieu à une course d’attente. En revanche, il est manifeste que Fabian Cancellara assume ses responsabilités. Il fait rouler ses équipiers Hayden Roulston puis le double vainqueur du Ronde, Stijn Devolder. Avant d’entrer dans le Quaremont, les hommes de tête sont à portée de fusil. Les favoris, patients et bien protégés par leurs équipiers n’ont toujours pas bougé une oreille.

Il suffira d’une attaque pour que la course soit jouée. Comme il l’a fait au GP E3, Fabian Cancellara lâche les chevaux dans l’avant-dernière ascension. Toujours aussi puissant, Spartacus dépose tout le monde… sauf son plus sérieux rival Peter Sagan (Cannondale). Au caractère le Slovaque résiste à une deuxième accélération du Suisse sur le haut de la bosse. Ils reviennent sur Jurgen Roelandts qui s’était détaché dans le Quaremont avant d’aborder le Paterberg. Ce que Cancellara n’est pas parvenu à réaliser dans l’ascension précédente, il le fera dans l’ultime difficulté. Le Suisse, surpuissant, accélère tout en restant assis sur sa selle pour sortir le maillot vert du dernier Tour de France de sa roue. Des images qui rappellent alors ce qu’il avait fait avec Tom Boonen dans le mur de Grammont lors de son premier succès.

Dès lors, il n’y a plus de suspense. On sait le Suisse intouchable lorsqu’il part dans ces conditions. En 13 kilomètres, vent de face, Cancellara va mettre près d’1’30 à ses poursuivants qui demeurent impuissants. Peter Sagan est pour la troisième fois depuis le début de saison, 2ème d’une classique WorldTour. Il se présente dans la dernière ligne droite en compagnie de Jurgen Roelandts qu’il règle facilement au sprint. Le duo précède de quelques secondes un peloton d’une quinzaine d’hommes. Alexander Kristoff (Team Katusha) remporte le sprint du peloton des battus. Deux Français rentrent dans le top 10 : Matthieu Ladagnous (FDJ) 5ème et Sébastien Turgot (Team Europcar) 8ème.

Classement :

1. Fabian Cancellara (SUI, RadioShack-Leopard) les 256 km en 6h05’58 »
2. Peter Sagan (SVQ, Cannondale) à 1’26 »
3. Jurgen Roelandts (BEL, Lotto-Belisol) à 1’28 »
4. Alexander Kristoff (NOR, Team Katusha) à 1’38 »
5. Matthieu Ladagnous (FRA, FDJ) m.t.
6. Heinrich Haussler (AUS, IAM Cycling) m.t.
7. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) m.t.
8. Sébastien Turgot (FRA, Team Europcar) m.t.
9. John Degenkolb (ALL, Argos-Shimano) m.t.
10. Sebastian Langeveld (PBS, Orica-GreenEdge) m.t.