Sans sceller définitivement le sort de la course, ils en avaient néanmoins précipité son destin il y a un an, quand par une météo exécrable comme le Tour n’en voit pas tous les ans, Vincenzo Nibali avait apporté plus d’éclat à son maillot jaune au moment où Chris Froome, abattu par un triste sort, s’en était remis à la fatalité. Les pavés du Nord qui génèrent tant d’appréhension auprès des favoris du Tour de France, plus habitués à se mesurer au printemps sur les classiques ardennaises que sur les flandriennes, ont gagné ce jour-là leur place dans la légende contemporaine de la Grande Boucle. En entrant en France par le Nord aujourd’hui, le Tour ne pouvait éviter l’incontournable. De Seraing à Cambrai (223,5 km), sept secteurs pour 13,3 kilomètres de pavés se succéderont, faisant de cette quatrième journée une nouvelle étape-clé.

Le destin aime décidément user et abuser d’ironie. Chris Froome (Team Sky), le même qui avait laissé filer le peloton sous la flotte nordiste il y a un an avant même de faire subir à son corps meurtri les premiers cahots de la route, est en jaune ce matin. En lieu et place de Fabian Cancellara (Trek Factory Racing), leader du classement général il y a encore vingt-quatre heures mais une nouvelle fois malmené avant ses échéances favorites et de retour ce matin vers son domicile, deux vertèbres fracturées. L’histoire bégaie sans pour autant ressasser. Le ciel, en tout cas, retiendra en partie ses gouttes à l’entrée des coureurs sur le sol français. Il n’y aura pas de drache carabinée, pas de boue visqueuse, mais de la poussière, beaucoup, au passage sur les pavés des acteurs du Tour. Des pavés secs  sur lesquels de véritables bêtes féroces vont venir se jeter dans les 50 derniers kilomètres d’une course fébrile.

Au moment où les choses sérieuses se précisent, il n’y a déjà plus âme qui vive à l’avant de la course. Sortis dès le départ de Seraing, Frédéric Brun (Bretagne-Séché Environnement), Thomas De Gendt (Lotto-Soudal), Perrig Quémeneur (Team Europcar) et Lieuwe Westra (Astana) sont les premiers à franchir la frontière franco-belge pour entrer dans le département du Nord. Mais l’avance du quatuor portée au-delà des huit minutes s’est déjà nettement amenuisée, la présence en tête des quatre hommes n’étant entretenue jusqu’à 40 kilomètres de l’arrivée que par la volonté des coureurs du peloton. Les échappés rejoints à l’entame de la dernière heure, la course entre dans sa phase décisive. Et c’est à fond de train que le peloton entre sur les secteurs poussiéreux, les favoris au contact les uns des autres.

Vincenzo Nibali offensif, Thibaut Pinot écarté sur incident mécanique.

C’est en défense que se massent les prétendants désignés au maillot jaune, déterminés à ne pas perdre le Tour de France sur ces pavés de malheur plus qu’à chercher à y gagner du temps. Vincenzo Nibali (Astana) pourtant prend le parti inverse. Le tenant du titre sait trop l’importance qu’avaient joué dans son sacre ces pierres disjointes qui jalonnent la campagne nordiste. Epaulé par Lars Boom – le vainqueur d’Arenberg – puis Jakob Fuglsang, le Sicilien apparaît décidément très à l’aise sur les pavés. A trois reprises, il va y pousser la manette des gaz : sur le pavé de Quérénaing à Verchain-Maugré à 40 kilomètres de l’arrivée, sur celui de Saint-Python à 25 kilomètres, et encore sur l’ultime secteur d’Avesnes-les-Aubert à Carnières à 13 kilomètres de Cambrai. Mais sans jamais tromper la vigilance de ses adversaires.

La dernière banderille plantée par Nibali, que relaient Froome et Thomas (Team Sky), Van Avermaet et Van Garderen (BMC Racing Team), Degenkolb (Giant-Alpecin), Stybar (Etixx-Quick Step) et Valverde (Movistar Team), s’expose à la réaction des Tinkoff-Saxo qui ramènent sur les huit de tête un peloton fort encore de trente-cinq unités au sein duquel figurent encore tous les favoris. Tous à l’exception du seul Thibaut Pinot (FDJ), écarté du jeu sur incident mécanique dans le long secteur de Viesly à Quiévy et contraint d’attendre, isolé, le secours de son véhicule retardé derrière un deuxième groupe ! Choqué hier par l’accident dont a été victime son coéquipier William Bonnet et déjà débiteur de 1’31 » en haut du Mur de Huy, Thibaut Pinot gagnera Cambrai avec un retard de 3’20 » sur les favoris du Tour, ce qui le repousse ce soir au 30ème rang du classement général à 6’30 ». Loin, trop loin, des ambitions qui étaient les siennes.

Si les pavés du Nord version 2015 n’auront pas offert la même dramaturgie que ceux de la 101ème édition, ils apportent néanmoins un nouveau changement de Maillot Jaune, le quatrième en autant d’étapes. Il faut remonter à 1992 (Indurain, Zülle, Virenque, Lino) pour retrouver trace d’une telle inconstance en début de Tour. Après Dennis, Cancellara et Froome, c’est donc Tony Martin (Etixx-Quick Step) qui s’habille de jaune. L’Allemand, 2ème du général à 1 seconde ce matin et retardé dans le dernier secteur par une crevaison, revient à temps dans le peloton qu’il attaque à 3 kilomètres de l’arrivée pour rallier la ligne en vainqueur solitaire, 3 secondes devant le paquet réglé par John Degenkolb (Giant-Alpecin). C’est largement suffisant pour lui permettre de ravir à son tour le maillot jaune. Son tout premier.

Demain mercredi, le Tour de France devrait retrouver un peu son calme dans une cinquième étape pour sprinteurs entre Arras et Amiens (189,5 km).

Classement 4ème étape :

1. Tony Martin (ALL, Etixx-Quick Step) les 223,5 km en 5h28’58 » (40,8 km/h)
2. John Degenkolb (ALL, Giant-Alpecin) à 3 sec.
3. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff-Saxo) m.t.
4. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) m.t.
5. Edvald Boasson-Hagen (NOR, MTN-Qhubeka) m.t.
6. Nacer Bouhanni (FRA, Cofidis) m.t.
7. Jacopo Guarnieri (ITA, Team Katusha) m.t.
8. Tony Gallopin (FRA, Lotto-Soudal) m.t.
9. Zdenek Stybar (TCH, Etixx-Quick Step) m.t.
10. Bryan Coquard (FRA, Team Europcar) m.t.

Classement général :

1. Tony Martin (ALL, Etixx-Quick Step) en 12h40’26 »
2. Chris Froome (GBR, Team Sky) à 12 sec.
3. Tejay Van Garderen (USA, BMC Racing Team) à 25 sec.
4. Tony Gallopin (FRA, Lotto-Soudal) à 38 sec.
5. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff-Saxo) à 39 sec.
6. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) à 40 sec.
7. Rigoberto Uran (COL, Etixx-Quick Step) à 46 sec.
8. Alberto Contador (ESP, Tinkoff-Saxo) à 48 sec.
9. Geraint Thomas (GBR, Team Sky) à 1’15 »
10. Zdenek Stybar (TCH, Etixx-Quick Step) à 1’16 »

Classement par points :

1. André Greipel (ALL, Lotto-Soudal) 84 pt
2. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff-Saxo) 78 pt
3. John Degenkolb (ALL, Giant-Alpecin) 60 pt
4. Tony Martin (ALL, Etixx-Quick Step) 55 pt
5. Mark Cavendish (GBR, Etixx-Quick Step) 53 pt
6. Chris Froome (GBR, Team Sky) 40 pt
7. Nacer Bouhanni (FRA, Cofidis) 37 pt
8. Bryan Coquard (FRA, Team Europcar) 36 pt
9. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) 35 pt
10. Joaquim Rodriguez (ESP, Team Katusha) 30 pt

Classement de la montagne :

1. Joaquim Rodriguez (ESP, Team Katusha) 2 pt
2. Michael Schär (SUI, BMC Racing Team) 1 pt
3. Rafal Majka (POL, Tinkoff-Saxo) 1 pt
4. Thomas De Gendt (BEL, Lotto-Soudal) 1 pt
5. Chris Froome (GBR, Team Sky) 1 pt

Classement des jeunes :

1. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff-Saxo) en 12h41’05 »
2. Warren Barguil (FRA, Giant-Alpecin) à 40 sec.
3. Nairo Quintana (COL, Movistar Team) à 1’29 »
4. Romain Bardet (FRA, Ag2r La Mondiale) à 2’27 »
5. Thibaut Pinot (FRA, FDJ) à 5’51 »
6. Michal Kwiatkowski (POL, Etixx-Quick Step) à 7’28 »
7. Georg Preidler (AUS, Giant-Alpecin) à 8’29 »
8. Eduardo Sepulveda (ARG, Bretagne-Séché Environnement) à 9’38 »
9. Wilco Kelderman (PBS, Team LottoNL-Jumbo) à 9’42 »
10. Angelo Tulik (FRA, Team Europcar) à 10’29 »

Prix de la combativité :

1. Vincenzo Nibali (ITA, Astana)

Classement par équipes :

1. BMC Racing Team (USA) en 38h02’55 »
2. Etixx-Quick Step (BEL) à 24 sec.
3. Tinkoff-Saxo (RUS) à 1’44 »
4. Team Sky (GBR) à 2’31 »
5. Giant-Alpecin (ALL) à 5’43 »
6. Ag2r La Mondiale (FRA) à 5’44 »
7. Movistar Team (ESP) à 7’15 »
8. Cofidis (FRA) à 7’47 »
9. Team Katusha (RUS) à 7’56 »
10. Cannondale-Garmin (USA) à 9’00 »