Laurent, vous aviez fini par nous habituer à gagner chaque semaine depuis trois semaines. Et là, rien ! Que s’est-il passé ?
Malheureusement, je suis tombé malade. Ma fille a eu la gastro le week-end dernier et, joies de la paternité, je crois qu’elle m’a refilé ça. Dans la nuit de lundi à mardi, juste avant le Circuit de la Sarthe, j’ai commencé à me sentir mal, avec des maux de ventre. Je suis tout de même parti, même si au matin j’étais brassé et je n’avais pas du tout d’appétit. On a pris la pluie mais j’ai tout de même fini l’étape au courage en me disant que ça allait revenir. J’espérais que ça irait mieux le lendemain, mais j’ai senti mercredi que j’étais encore dérangé. Je n’ai rien pu avaler entre l’étape du matin et le contre-la-montre. J’ai fait un temps correct mais je sentais qu’il me manquait de la force. J’avais les pattes vides et jeudi j’ai préféré renoncer à insister après 60 kilomètres pour ne pas trop puiser dans mes réserves.

Gagner une fois comme vous l’avez fait à la Classic Loire-Atlantique, c’est une chose, mais gagner trois fois en autant de semaines en est une autre. Comment vous expliquez-vous cette soudaine réussite ?
C’est assez incroyable. Je suis le premier émerveillé par ce qui se passe. J’attaque ma huitième année pro. Jusqu’à présent, je n’avais gagné « que » des Classes 2, qui sont déjà de belles courses, mais mon objectif était de gagner une vraie course pro, avec uniquement des pros au départ. Ça a mis le temps mais c’est enfin arrivé. Ça fait du bien, qui plus est d’avoir enchaîné les victoires comme ça, et c’est tant mieux !

Gagner ne vous était pas encore familier. Y prend-on rapidement goût ?
Disons que ma victoire à la Classic Loire-Atlantique m’a sûrement délivré. La semaine suivante en Italie, j’ai couru sans pression, j’ai tenté de suivre les coups, et j’ai pris la bonne après 25 kilomètres. J’avais une bonne étoile au-dessus de moi puis on a fait un beau numéro avec Lilian Calmejane pour résister au peloton. Enfin il y a eu la Route Adélie. Que dire de plus, c’est top !

Avant cette période, aviez-vous déjà eu le sentiment d’avoir franchi un palier ?
Je pense déjà avoir bien progressé au cours de mes quatre saisons à la FDJ. Au fil des années, et avec tous les moyens dont nous disposons désormais, comme les capteurs de puissance, je savais que je progressais. Mais j’avais un rôle d’équipier auprès de leaders comme Arthur Vichot, Thibaut Pinot ou Arnaud Démare. Et à force je pense que j’ai perdu l’instinct de gagneur. Je n’avais plus de repères. Et sur le peu de courses sur lesquelles nous avions notre chance, je me mettais trop de pression. Je ne voulais pas me rater car j’avais envie d’appartenir au groupe de Thibaut Pinot et de faire les grandes courses. Au final, je faisais des erreurs. Néanmoins je savais que je progressais et je suis content de le montrer cette année.

Vous disiez mesurer votre progression aux watts. Est-ce une donnée à laquelle vous apportez beaucoup d’attention ?
J’aime bien courir avec ces outils, notamment quand on s’entraîne tout seul. Ça permet de bien travailler et honnêtement, aujourd’hui, c’est devenu indispensable. Mais il faut aussi savoir s’en détacher, et pédaler à la sensation. Chez Fortuneo, je suis suivi à l’entraînement par Roger Tréhin. Ça me fait du bien de faire des séries avec le capteur de puissance mais aussi de rouler aux sensations, ce que j’avais fini par perdre à la FDJ, où nous étions constamment axés sur le SRM, au point d’avoir parfois du mal à débrancher. Il faut savoir utiliser ces outils avec modération, ne pas se focaliser que sur les watts. J’ai repris goût à faire du vélo sans regarder le compteur, à monter les bosses à bloc sans me poser de questions. Et peut-être que courir aux sensations m’a apporté une fraîcheur mentale avant d’attaquer la saison.

Votre retour aux sources dans l’équipe d’Emmanuel Hubert, où vous aviez fait vos débuts entre 2010 et 2012, a-t-il précisément été dicté par l’envie de vous exprimer ?
C’est vrai que j’avais envie qu’on me donne ma chance. Etre dans un rôle d’équipier me plaisait bien, mais au bout de quatre ans à avoir tout donné pour l’équipe FDJ, j’estimais que mon travail n’était pas reconnu à sa juste valeur, notamment par une sélection pour le Tour de France. En 2016, la sélection n’a pas été logique sur le plan sportif me concernant. J’en ai eu ras-le-bol de mettre mes ambitions personnelles de côté sans avoir le moindre retour. Je ne regrette rien pour autant. Ça a été une belle opportunité que de courir à la FDJ.

Chez Fortuneo-Vital Concept, avez-vous le sentiment d’avoir gagné vos galons en l’espace de trois semaines ?
Emmanuel Hubert et Roger Tréhin connaissaient déjà ma valeur. Ils savaient le travail que j’accomplissais à la FDJ pour mes leaders et avaient une grande confiance en moi. Conclure dès le début de la saison est la meileure manière de leur prouver qu’ils ont eu raison de croire en moi. Pour autant je n’estime pas devoir davantage mériter un statut de leader qu’un autre. Ce qui nous définit avant tout chez Fortuneo, c’est l’esprit de groupe. J’ai eu de la réussite, mais nous avons un collectif homogène et ça aurait très bien pu être un autre. Et même si j’aime bien être considéré comme un coureur protégé, je préfère qu’on me fasse confiance plutôt qu’on me mette une pression inutile. C’est comme ça que je marche.

Où fixez-vous à présent vos ambitions ?
J’ai envie de faire une belle semaine prochaine, notamment le week-end finistérien sur mes routes d’entraînement, le Tour du Finistère samedi et bien plus encore le Tro Bro Léon le lundi de Pâques. C’est une course que j’adore, et sans me mettre de pression, j’ai envie de bien faire devant tous mes supporters et de prendre du plaisir. Ça reste une course spéciale dans laquelle on peut tout perdre sur une crevaison. Après cela je devrais faire une petite coupure.

D’une année sur l’autre, vous avez réalisé des places dans à peu près toutes les courses de la Coupe de France, dont vous êtes leader après trois manches. On ne vous imagine pas ne pas en faire un objectif…
Les courses de la Coupe de France me plaisent bien en effet. J’adore courir en circuit, et les parcours, vallonnés sans être trop difficiles, sont généralement ouverts à tout le monde, exception faite des quelques épreuves adressées aux sprinteurs. Je vais tâcher de marquer des points sur les prochaines manches pour continuer sur ma lancée, c’est sûr. Je me méfie quand même d’un coureur comme Samuel Dumoulin, qui peut revenir très vite.

A ce rythme, l’année 2017 pourrait-elle faire enfin de vous un coureur du Tour de France ?
Quand on est à ce niveau là, c’est évidemment l’objectif. Je garde l’espoir de pouvoir découvrir le Tour avec Fortuneo-Vital Concept. Mais j’ai tellement été déçu par les attentes des années précédentes que tant que je ne serai pas au départ, je n’ai pas envie d’y penser. Il peut se passer encore tellement de choses d’ici là.