On avait rarement vu pareille exaltation à l’arrivée d’une étape de la Vuelta. Au cœur de la marée humaine qui le dévore, Fabio Aru (Astana) empreint d’une belle émotion se fraie un chemin pour enlacer ici Mikel Landa, étreindre là Luis-Leon Sanchez, deux des coéquipiers arrivés à ses côtés à Cercedilla, où la Vuelta a définitivement basculé en sa faveur. C’est que seul, comme l’était le malheureux Tom Dumoulin que personne chez Giant-Alpecin n’avait imaginé en rouge à la veille du défilé madrilène il y a trois semaines, jamais le grimpeur italien n’aurait été capable de faire plier le rouleur hollandais. Pour grappiller les 6 secondes qui lui faisaient encore défaut au départ de San Lorenzo del Escorial, 175,8 kilomètres plus tôt et quatre cols en moins dans les pattes, il n’était plus question de condition physique mais de génie stratégique.

Entre les quatre cols qui s’enchaînaient en Sierra de Guadarrama (le Puerto de Navacerrada et le Puerto de la Morcuera gravis par leurs deux versants), Fabio Aru avait de quoi faire pour effacer aux portes de Madrid sa différence dérisoire sur l’interloquant Dumoulin. Encore fallait-il sortir de sa roue ce coureur de 24 ans qui s’entêtait encore, si près du but, à vouloir s’inviter à la table d’honneur. Il ne faudrait plus attendre la dernière opportunité pour le faire plier. Et si l’équipe Giant-Alpecin pensait endormir son monde dans les premières montées du Puerto de Navacerrada et du Puerto de la Morcuera, où elle avait consenti à laisser filer quarante bonshommes pour se soulager du poids des bonifications promises à l’arrivée et susceptibles de peser dans la balance, sans doute ne voyait-elle pas se tramer la manœuvre visant à la perte du Maillot Rouge. Car parmi les quarante coureurs qui fuyaient avant même le Puerto de Navacerrada se trouvaient deux futurs alliés de Fabio Aru : Luis-Leon Sanchez et Andrey Zeits.

Les autres se désintéressaient complètement du bras de fer qui allait s’engager au retour par les versants opposés. Sorti avec une première vague de dix coureurs, Ruben Plaza (Lampre-Merida) n’avait d’yeux comme les autres que pour la victoire d’étape. Il allait la prendre, comme il l’avait fait à Gap sur le Tour de France il y a deux mois, en usant de vaillance dans les derniers cols du Tour d’Espagne. Avant que ne se forme en tête un large peloton d’échappés, Ruben Plaza prenait le parti de s’isoler en insistant seul sur les pentes du Puerto de la Morcuera. Jamais, quelle que soit la configuration des groupes qui se formaient à sa poursuite, le coureur de 35 ans déjà lauréat d’un contre-la-montre du Tour d’Espagne à Alcala de Henares il y a dix ans, ne serait rejoint. Et c’est après 120 kilomètres d’échappée solitaire qu’il atteignait la ligne en tête.

Sanchez et Zeits appuient un relais décisif au moment où Tom Dumoulin s’apprête à rentrer.

Mais déjà les regards étaient portés depuis une cinquantaine de kilomètres sur la grande bataille des candidats, qui pour le maillot rouge, qui pour une place sur le podium à Madrid. Elle s’était engagée à mi-pente du Puerto de la Morcuera (dans le sens retour), à 55 kilomètres de l’arrivée. Au moment où l’équipe Astana avait durci le ton, décelant très vite dans l’attitude de Tom Dumoulin sa capacité à faire chavirer la course. Quand Mikel Landa prenait son tour avec son leader Fabio Aru sur le porte-bagages, seuls Rafal Majka (Tinkoff-Saxo) et Nairo Quintana (Movistar Team) subsistaient. Tom Dumoulin, passé en alerte maximale, était invité à faire l’effort pour rentrer au plus vite sur le quatuor avec Joaquim Rodriguez (Team Katusha), Esteban Chaves (Orica-GreenEdge) et Mikel Nieve (Team Sky).

Mais une autre banderille allait bientôt être plantée par Fabio Aru. A 50 kilomètres de l’arrivée, alors qu’on s’approchait du sommet de la Morcuera, Fabio Aru se dressait subitement sur les pédales pour faire plier Dumoulin, incapable de répondre à ce nouvel assaut auquel réagissaient tour à tour Majka et Quintana, puis Chaves, Landa et Rodriguez. Tout en gestion, Tom Dumoulin basculait au sommet avec 20 secondes de retard sur le groupe Aru et le seul Mikel Nieve pour associé. Il lui fallait rentrer dans la descente, avant d’affronter le dernier obstacle de cette Vuelta : le Puerto de Cotos (11 km à 5,4 %). Mais si Dumoulin entrevoyait un temps l’espoir d’y parvenir, Fabio Aru retrouvait dans la brève vallée le renfort de Sanchez et Zeits stratégiquement placés dans l’échappée du matin. Ceux-là allaient appuyer un relais décisif et porter le coup de grâce au bénéfice de Fabio Aru. Désemparé, Tom Dumoulin finissait par reculer définitivement. Non seulement la Vuelta allait lui échapper, mais il ne serait pas davantage récompensé d’une place sur le podium, rétrogradant, avec 3’52 » de retard sur Fabio Aru à Cercedilla, au 6ème rang du classement général.

Si la victoire finale était acquise à Fabio Aru, qui inscrira demain un premier Grand Tour à son palmarès trois mois après avoir pris la 2ème place du Giro, la course au podium était soudainement relancée par un assaut conjointement donné par Nairo Quintana et Rafal Majka sur le haut du Puerto de Cotos à 21 kilomètres de l’arrivée. Les deux hommes franchissaient le sommet avec 33 secondes d’avance sur Aru, Rodriguez et consorts. Pour accroître leur avantage dans la descente finale vers Cercedilla, où Rafal Majka se présentait 55 secondes avant Joaquim Rodriguez, qui sauvait là pour 12 secondes une place de dauphin sur le trône d’Espagne, laissant au Polonais la petite marche d’un podium sur lequel Fabio Aru obtiendra, dans vingt-quatre heures à Madrid, une victoire finale accrochée aujourd’hui avec un grand sens de la stratégie.

Demain dimanche, le Tour d’Espagne se conclura en fin de soirée entre Alcala de Henares et Madrid (98,8 km).

Classement 20ème étape :

1. Ruben Plaza (ESP, Lampre-Merida) les 175,8 km en 4h37’05 » (38,1 km/h)
2. José Gonçalves (POR, Caja Rural-Seguros RGA) à 1’07 »
3. Alessandro De Marchi (ITA, BMC Racing Team) à 1’08 »
4. Romain Sicard (FRA, Team Europcar) à 1’29 »
5. Amaël Moinard (FRA, BMC Racing Team) à 1’30 »
6. Carlos Verona (ESP, Etixx-Quick Step) m.t.
7. Sergio Henao (COL, Team Sky) m.t.
8. Kenny Elissonde (FRA, FDJ) à 1’35 »
9. Matteo Montaguti (ITA, Ag2r La Mondiale) à 1’43 »
10. Moreno Moser (ITA, Cannondale-Garmin) à 2’40 »

Classement général :

1. Fabio Aru (ITA, Astana) en 83h01’40 »
2. Joaquim Rodriguez (ESP, Team Katusha) à 1’17 »
3. Rafal Majka (POL, Tinkoff-Saxo) à 1’29 »
4. Nairo Quintana (COL, Movistar Team) à 2’02 »
5. Esteban Chaves (COL, Orica-GreenEdge) à 3’30 »
6. Tom Dumoulin (PBS, Giant-Alpecin) à 3’46 »
7. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) à 7’10 »
8. Mikel Nieve (ESP, Team Sky) à 7’26 »
9. Daniel Moreno (ESP, Team Katusha) à 7’32 »
10. Louis Meintjes (AFS, MTN-Qhubeka) à 10’46 »

Classement par points :

1. Joaquim Rodriguez (ESP, Team Katusha) 116 pt
2. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) 114 pt
3. Esteban Chaves (COL, Orica-GreenEdge) 108 pt
4. Tom Dumoulin (PBS, Giant-Alpecin) 105 pt
5. Nicolas Roche (IRL, Team Sky) 97 pt
6. Fabio Aru (ITA, Astana) 97 pt
7. Rafal Majka (POL, Tinkoff-Saxo) 89 pt
8. Nairo Quintana (COL, Movistar Team) 84 pt
9. José-Joaquin Rojas (ESP, Movistar Team) 70 pt
10. José Gonçalves (POR, Caja Rural-Seguros RGA) 69 pt

Classement de la montagne :

1. Omar Fraile (ESP, Caja Rural-Seguros RGA) 82 pt
2. Ruben Plaza (ESP, Lampre-Merida) 63 pt
3. Frank Schleck (LUX, Trek Factory Racing) 30 pt
4. Alessandro De Marchi (ITA, BMC Racing Team) 28 pt
5. Mikel Landa (ESP, Astana) 25 pt
6. José Gonçalves (POR, Caja Rural-Seguros RGA) 24 pt
7. Rodolfo Torres (COL, Colombia) 22 pt
8. Pierre Rolland (FRA, Team Europcar) 20 pt
9. José-Joaquin Rojas (ESP, Movistar Team) 19 pt
10. Mikaël Chérel (FRA, Ag2r La Mondiale) 18 pt

Classement du combiné :

1. Joaquim Rodriguez (ESP, Team Katusha) 15 pt
2. Fabio Aru (ITA, Astana) 23 pt
3. Tom Dumoulin (PBS, Giant-Alpecin) 24 pt
4. Rafal Majka (POL, Tinkoff-Saxo) 37 pt
5. Esteban Chaves (COL, Orica-GreenEdge) 43 pt
6. Nicolas Roche (IRL, Team Sky) 46 pt
7. Mikel Landa (ESP, Astana) 48 pt
8. José Gonçalves (POR, Caja Rural-Seguros RGA) 50 pt
9. Frank Schleck (LUX, Trek Factory Racing) 55 pt
10.  Nelson Oliveira (POR, Lampre-Merida) 56 pt

Classement par équipes :

1. Movistar Team (ESP) en 249h01’59 »
2. Team Sky (GBR) à 29’47 »
3. Team Katusha (RUS) à 35’44 »
4. Astana (KAZ) à 47’24 »
5. Team Europcar (FRA) à 1h11’00 »
6. Caja Rural-Seguros RGA (ESP) à 1h20’44 »
7. Tinkoff-Saxo (RUS) à 1h40’58 »
8. Etixx-Quick-Step (BEL) à 1h43’44 »
9. Lotto-Soudal (BEL) à 1h55’17 »
10. Cofidis (FRA) à 2h35’55 »