Une fois la ligne franchie à Risoul, Vincenzo Nibali (Astana) ne peut plus contenir ses sanglots. Avachi sur sa machine, le front collé contre la potence, le Sicilien cède à l’émotion. Depuis quelques jours l’Italie s’inquiétait de voir son champion, maillot rose de la popularité, afficher un visage aussi fébrile. Le Sicilien lui-même commençait à douter, forcé de passer des examens hier matin qui n’ont finalement révélé aucune infection. Dès lors, le Sicilien se devait de sonner la révolte alors que le sort du Giro doit se jouer sur les deux dernières étapes alpestres aussi attendues que redoutées. S’il s’effondre après avoir passé la ligne, c’est parce que Vincenzo Nibali a réussi la prouesse de renverser le Tour d’Italie au cours d’une étape pleine de dramaturgie en passe d’entrer dans la grande histoire du Giro. A moins de 48 heures de Turin, le maillot rose est même redevenu accessible pour l’idole de tout un peuple.

L’histoire a donc trouvé son protagoniste principal avec le leader de l’équipe Astana. Elle devait obligatoirement trouver son héros malheureux. Ce sera Steven Kruijswijk (Team LottoNL-Jumbo). Le maillot rose semblait solidement accroché à ses épaules ? Cette étape rappelle que la dure loi du sport peut frapper à tout instant, en cyclisme encore plus qu’ailleurs. La belle machine néerlandaise, si solide au cours des dix-huit premières étapes, s’enraye à cause d’un petit grain de sable. Ou plutôt à cause de milliers de flocons de neige, déblayés in extremis dans les bas côtés des deux versants du col Agnel. Le versant ascendant n’a causé aucun problème au Maillot Rose, même si l’accélération de l’équipe Orica-GreenEdge et les offensives répétées d’Esteban Chaves et de Vincenzo Nibali l’ont privé d’équipiers à 60 kilomètres de l’arrivée.

Les trois plus costauds de la montée interminable de la Cima Coppi de cette édition viennent à peine de commencer la descente dans un brouillard épais que le tournant décisif de ce Giro intervient. Il a suffi d’une courbe prise un peu trop largement pour que les espoirs de victoire finale de Steven Kruijswijk soient brisés. Le Néerlandais heurte violemment les bas côtés enneigés, voit son vélo lui passer par dessus la tête et s’écrase dans la neige. Heureusement, le manteau blanc qui habille encore les cimes à plus de 2700 mètres d’altitude a pour effet d’amortir sa chute. Steven Kruijswijk en sort indemne physiquement, mais sa position de leader est soudainement menacée. Esseulé dans la descente, le Néerlandais ne trouve personne pour lui porter secours et doit mener la chasse en personne. L’avantage qu’il a creusé au cours des premières étapes de montagne est réduit à néant au moment d’aborder la montée vers Risoul.

Vincenzo Nibali se replace dans la course au maillot rose, porté par Esteban Chaves

La lutte était déséquilibrée entre un Maillot Rose se donnant corps et âme pour défendre son bien et Esteban Chaves et Vincenzo Nibali, protégés par le travail de leurs coéquipiers. Le Colombien et le Sicilien avaient judicieusement placé un homme dans une échappée d’une vingtaine d’éléments qui aura un rôle considérable sur le déroulé du reste de l’étape et potentiellement sur le sort de ce Giro. Le petit grimpeur d’Orica-GreenEdge aurait-il pu creuser cet avantage sur Kruijswijk, mais aussi sur Alejandro Valverde (Movistar Team) s’il n’avait pas trouvé le soutien de la bête à rouler Ruben Plaza ? Le champion d’Italie aurait-il pu se remettre en course pour la victoire finale si Michele Scarponi ne s’était pas relevé après avoir franchi le col Agnel en première position ? Les deux hommes jouent à merveille leur rôle d’équipier modèle en maintenant une allure élevée avant de plonger sur Guillestre et d’attaquer la montée vers Risoul.

Avant les 12,9 derniers kilomètres, les écarts étaient déjà bien marqués. Mais la montée vers la station intimiste des Hautes-Alpes va contribuer à accentuer encore les différences et à bouleverser encore un peu plus une course rose qui ne sait plus où donner de la tête. Vincenzo Nibali retrouve le coup de pédale aérien qui lui avait permis de dominer la Grande Boucle il y a deux ans, quand le Tour faisait d’ailleurs étape à Risoul. Esteban Chaves parvient à répondre à la première offensive du Squale à 5 kilomètres du sommet. Pas à la deuxième qui arrive quelques hectomètres plus loin. Le Colombien tente de s’accrocher, mais l’Italien est comme transfiguré. Au bout d’une étape intense, le Sud-Américain se fragilise sur le haut difficile de la montée et commence à céder du terrain sur l’Italien. Le maillot rose est au bout de cette étape pour le grimpeur d’Orcia-GreenEdge, mais certainement pas l’assurance de le ramener à Turin dans 48 heures.

A la veille de la dernière étape décisive, les cartes sont complètement rebattues. Arrivé 50 secondes avant Esteban Chaves, Vincenzo Nibali revient contre toute attente dans la course à la victoire finale n’affichant qu’un retard de 44 secondes sur le nouveau Maillot Rose ! La course n’est pas perdue non plus pour Steven Kruijswijk, à condition que le Néerlandais se remette psychologiquement de la déroute qu’il a connue aujourd’hui. Même si le visage si serein du leader du Team LottoNL-Jumbo affichait pour la première fois le masque de la douleur dans la montée finale, il parvient à limiter la casse et rétrograde au 3ème rang à 1’05 ». Cela paraît en revanche plus compliqué pour Alejandro Valverde, 4ème à 1’48 ». L’Espagnol a confirmé ses difficultés quand le peloton prenait de la hauteur. Une chose est sûre, le Giro est loin d’être terminé !

La 20ème étape entre Guillestre et Sant’Anna di Vinadio (134 km) par delà les cols de Vars, de la Bonette et de la Lombarde déterminera le classement final.

Classement 19ème étape :

1. Vincenzo Nibali (ITA, Astana) les 162 km en 4h19’54 » (37,3 km/h)
2. Mikel Nieve (ESP, Team Sky) à 51 sec.
3. Esteban Chaves (COL, Orica-GreenEdge) à 53 sec.
4. Diego Ulissi (ITA, Lampre-Merida) à 1’02 »
5. Rafal Majka (POL, Tinkoff) à 2’14 »
6. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) m.t.
7. Rigoberto Uran (COL, Cannondale) m.t.
8. Georg Preidler (AUT, Giant-Alpecin) à 2’43 »
9. Nicolas Roche (IRL, Team Sky) à 2’51 »
10. Hubert Dupont (FRA, Ag2r La Mondiale) m.t.

Classement général :

1. Esteban Chaves (COL, Orica-GreenEdge) en 78h14’20 »
2. Vincenzo Nibali (ITA, Astana) à 44 sec.
3. Steven Kruijswijk (PBS, Team LottoNL-Jumbo) à 1’05 »
4. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) à 1’48 »
5. Rafal Majka (POL, Tinkoff) à 3’59 »
6. Bob Jungels (LUX, Etixx-Quick Step) à 7’53 »
7. Andrey Amador (CRC, Movistar Team) à 9’34 »
8. Rigoberto Uran (COL, Cannondale) à 12’18 »
9. Kanstantsin Siutsou (BLR, Dimension Data) à 13’19 »
10. Domenico Pozzovivo (ITA, Ag2r La Mondiale) à 14’11 »

Classement par points :

1. Giacomo Nizzolo (ITA, Trek-Segafredo) 185 pt
2. Diego Ulissi (ITA, Lampre-Merida) 152 pt
3. Matteo Trentin (ITA, Etixx-Quick Step) 141 pt
4. Daniel Oss (ITA, BMC Racing Team) 127 pt
5. Sacha Modolo (ITA, Lampre-Merida) 126 pt
6. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) 88 pt
7. Maarten Tjallingii (PBS, Team LottoNL-Jumbo) 83 pt
8. Steven Kruijswijk (PBS, Team LottoNL-Jumbo) 76 pt
9. Alexander Porsev (RUS, Team Katusha) 62 pt
10. Bob Jungels (LUX, Etixx-Quick Step) 61 pt

Classement de la montagne :

1. Damiano Cunego (ITA, Nippo-Vini Fantini) 134 pt
2. Mikel Nieve (ESP, Team Sky) 98 pt
3. Stefan Denifl (AUT, IAM Cycling) 73 pt
4. Darwin Atapuma (COL, BMC Racing Team) 69 pt
5. Giovanni Visconti (ITA, Movistar Team) 61 pt
6. David Lopez (ESP, Team Sky) 54 pt
7. Michele Scarponi (ITA, Astana) 51 pt
8. Steven Kruijswijk (PBS, Team LottoNL-Jumbo) 42 pt
9. Diego Ulissi (ITA, Lampre-Merida) 42 pt
10. Alexander Foliforov (RUS, Gazprom-RusVelo) 41 pt

Classement des jeunes :

1. Bob Jungels (LUX, Etixx-Quick Step) en 78h22’13 »
2. Sebastian Henao (COL, Team Sky) à 22’09 »
3. Valerio Conti (ITA, Lampre-Merida) à 59’22 »
4. Davide Formolo (ITA, Cannondale) à 1h02’00 »
5. Joe Dombrowski (USA, Cannondale) à 1h31’19 »
6. Carlos Verona (ESP, Etixx-Quick Step) à 1h35’28 »
7. Merhawi Kudus (ERY, Dimension Data) à 1h36’50 »
8. Nathan Brown (USA, Cannondale) à 1h54’36 »
9. Damien Howson (AUS, Orica-GreenEdge) à 1h54’39 »
10. Alexander Foliforov (RUS, Gazprom-RusVelo) à 2h01’36 »

Classement par équipes :

1. Astana (KAZ) en 235h05’37 »
2. Cannondale (USA) à 12’09 »
3. Movistar Team (ESP) à 18’56 »
4. Ag2r La Mondiale (FRA) à 27’27 »
5. Team Sky (GBR) à 38’25 »
6. Tinkoff (RUS) à 1h10’14 »
7. Etixx-Quick Step (BEL) à 1h15’25 »
8. Team Katusha (RUS) à 1h59’21 »
9. Dimension Data (AFS) à 2h37’24 »
10. Team LottoNL-Jumbo (PBS) à 2h42’05 »