Elles porteront cet après-midi le maillot bleu à Hoogerheide pour défendre nos couleurs et tenter de faire retentir la Marseillaise. Elles, se sont, Lucie Chainel, Pauline Ferrand-Prévot, Emeline Gaultier, Caroline Mani et Marlène Morel-Petitgirard. « On remercie la fédération d’emmener cinq filles, dont une Junior, c’est le quota maximum, salue d’abord Lucie Chainel. Mais pour le côté médiatique, c’est vrai que l’on n’est pas beaucoup suivies. Le cyclo-cross est déjà une discipline dont on parle peu. L’an dernier je termine 3ème à Louisville, il n’y a rien eu du tout. Je m’en fiche, car on fait du sport pour notre plaisir. Cette médaille j’ai été la chercher, et ce n’était que pour moi. C’est dommage qu’il n’y ait pas de sponsors derrière. Pour les hommes, ça doit être bien plus facile. Heureusement que Steve ramène un salaire correct, sans quoi je ne pourrais pas faire de cyclo-cross l’hiver. Steve me dit toujours : à ta place, je ne ferais pas de vélo. »

Toutes les disciplines ne sont pas logées à la même enseigne. « Le VTT est un peu plus médiatisé, note Lucie Chainel. C’est un sport olympique et c’est ce qui change tout. Il y a aussi un gros engouement autour de Julie Bresset. » « Par contre on ne parle pas du tout de la route, regrette Pauline Ferrand-Prévot. Sur Internet, ça va encore. Mais au niveau télé, on n’est pas gâtées. Si quelqu’un pouvait ramener une médaille olympique, ça pourrait aider le développement du cyclisme sur route. Quand je vois ce qu’il s’est passé avec Julie en VTT… Avant, on ne parlait pratiquement pas du VTT féminin. Il est clair que pour arriver à cela, il faudrait des résultats. »

Mais c’est là que tout se gâte : sans moyens, les résultats sont difficiles à aller chercher, et celles qui parviennent à se hisser au plus haut niveau ne sont pas rémunérées. Or sans résultats, pas de moyens. Le cyclisme féminin semble être engouffré dans un cercle vicieux dont il est délicat de sortir.

À ce titre, le cas à part du VTT est une nouvelle fois marquant. « En VTT, il y a de gros teams qui mettent tout en œuvre pour la performance, souligne Lucie Chainel, passée par BH-SR Suntour-KMC. En cyclo-cross et sur route, il faut le dire, il n’y a rien du tout. Sur route, seuls les pros comptent. Il n’y a pas d’équipe pro sur route en France ! Comment voulez-vous qu’on ramène des médailles si on ne nous aide pas à aller les chercher ? » « Je me suis fait critiquer quand je suis partie à l’étranger, mais c’est parce qu’il n’y avait rien en France, justifie pour sa part Pauline Ferrand-Prévot, qui porte les couleurs hollandaises de Rabo Women Cycling Team. On n’est pas rémunérées. Même dans une équipe comme Vienne-Futuroscope, les filles ne le sont pas. Elles ont un vélo, et encore, et elles travaillent à côté. Aucune fille en France n’a de statut professionnel. C’est un problème typiquement français. Aux Pays-Bas, il y a quatre équipes pros où les filles sont payées. »

Un problème typiquement français ? C’est l’hypothèse qu’avance également Caroline Mani, qui vit depuis quelques années de l’autre côté de l’Atlantique. « Il y a une énorme différence. De toute façon, on voit bien que le cyclo-cross ne vit que par Francis Mourey en France. Nous, on n’existe pas, déclare l’ancienne championne de France qui a fait le choix de s’expatrier. J’ai le statut pro aux États-Unis, mais pas en France. Là-bas, sur les stands, les hommes et les femmes sont au même niveau. Voire un cran au-dessus avec Katie Compton qui est n°1 mondiale. Au départ des Championnats des États-Unis cette année, il y avait 115 Élites Dames ! Sur route, il y a aussi beaucoup de courses où les femmes sont avec les hommes. Ce qui existe rarement chez nous. Ce qui fait que l’on ne profite pas des médias présents. »

Longtemps, le cyclisme féminin s’est réduit à la seule Jeannie Longo. Aujourd’hui, les cinq filles s’accordent pour dire qu’il est temps de passer à autre chose sans dénigrer le palmarès de l’ancienne championne olympique. « TF1 était venue aux Championnats de France du chrono en juin pour la filmer, rappelle Pauline Ferrand-Prévot. Ils n’ont pas dit un mot sur le podium. Elle n’a pas gagné, ils sont repartis. Ils ont dit dans le reportage qu’elle avait terminé 6ème à 2’40 » sans citer le podium, c’est dingue ! » « Elle a fait une super carrière. C’est un bel exemple, mais c’est terminé. Il faut tourner la page, affirme Lucie Chainel. Il y a des filles qui marchent comme Pauline. Elle a certes un très beau palmarès, mais elle n’a en rien aidé le cyclisme féminin. En revanche, elle a très bien su se médiatiser… Elle a réussi, c’est bien. »

Quelles solutions s’offrent au cyclisme féminine pour remédier à cette situation alarmante ? Pour Lucie Chainel, c’est clair : « ce qu’il faudrait, c’est une meilleure médiatisation, que l’on passe un peu à la télé, que l’on ait plus d’interviews dans les magazines. On est toujours prises comme des femmes, mais pas comme des athlètes. On est dévalorisées. Ça m’énerve ! On a moins de muscles, mais beaucoup plus de choses à faire à côté. Je pense que l’on s’investit beaucoup plus que les hommes. » « On fait le même travail, on s’entraîne, et on en chie autant qu’eux », renchérit Marlène Morel-Petitgirard.

Seulement, les chiffres ne suivent pas. « Pour le général du Challenge National, j’ai touché 390 euros, confie Lucie Chainel. Le premier homme en touche 1500. Sur une Coupe du Monde on a littéralement cinq fois moins ! Le premier touche 5000 euros, nous, on en touche 1000. On n’a rien. L’hiver me coûte de l’argent. » Une situation bien différente de celle des États-Unis. « Il y a très peu de courses où il n’y a pas égalité des primes, explique Caroline Mani. C’est même arrivé que les femmes gagnent plus que les hommes en VTT. Si on ne fait pas une parité au niveau des primes, c’est pareil au niveau des médias et c’est tout un cercle vicieux. » Qui sait, un jour, cette exception deviendra la règle…