Bradley Wiggins, c’est l’inventeur du concerto à l’anglaise. La peur de la moindre fausse note. Une mélodie encore jamais entendue, de l’innovation sans cesse. Wiggins, il nous refait la révolution industrielle. Un Anglais en avance sur son temps. Ses roues sont les tambours, son guidon la mesure, le cadre l’ensemble instrumental. Lui, s’est fait chef d’orchestre. Elégamment posé sur sa bicyclette, il joue sa partition, en temps et en heure. Il est comme ça Wiggins. Il serait né en face de Big Ben que cela n’aurait choqué personne. On l’aurait dit Suisse que cela aurait à peine étonné. Parce qu’il est comme ça, réglé comme une pendule.

De British, il a l’accent prononcé quand il parle dans un français parfait. L’héritage de ses années passées dans l’hexagone, la FDJ, Cofidis, à la poursuite de son destin. De British, il a la pugnacité, la recherche poussée à l’extrême de la performance. L’héritage de la piste, sur les traces de son destin. Mais au pudding et à la gelée, il préfère le jaune. Celui du soleil qui rend brûlant le bitume de ces journées, en juillet. Celui du soleil qui se fait discret, en hiver, quand le garçon s’entraîne comme un acharné, seul, dans le froid. Le jaune du maillot de son cœur, le plus beau des maillots, celui qu’il rêve de revêtir le 22 juillet prochain, au soir, sur la plus belle avenue du monde, les Champs-Elysées.

Il en rêvait déjà, l’été dernier. Mais une fausse note l’a arrêté. Une chute au cours de la septième étape est venue mettre à terre ses espoirs pourtant bien fondés. Pourtant, pas de quoi l’arrêter, l’Anglais. Il est revenu, et plus fort encore. Réglé comme jamais, du Dauphiné 2011 au Tour de Romandie 2012, en passant par Paris-Nice, il règne en maître sur les courses par étapes. Sans la moindre discussion, personne ne semble aujourd’hui en mesure de venir l’arrêter.

Car la montagne se posait en obstacle, rédhibitoire, voilà quelques années. Mais l’homme de la piste, roi de la poursuite, s’est aminci, à l’extrême. Il a consenti des sacrifices comme peu d’Hommes en sont capables. Parce qu’il connaît l’histoire de son sport mieux que personne et sait combien la préparation et le mental peuvent influencer si ce n’est créer l’ordre final. Sa vie sur un vélo se résume à faire des chronos. Il ne porte guère attention à ses adversaires car lui l’a compris. Il a compris ce qu’un Merckx appliquait déjà jadis. Si vous donnez vraiment le meilleur de vous-même, alors vous n’avez plus d’adversaire.

L’Homme a cela de paradoxal qu’il se met souvent en travers de sa propre route, sans forcément s’en rendre compte. A force de travail, Wiggins est arrivé à aller au-delà des exposés de psychologie. Reste à savoir s’il saura également être à la hauteur d’un agrégé en management. Car la grande interrogation réside finalement dans la composition de l’équipe Sky pour le Tour de France. Entre la fougue d’Edvald Boasson-Hagen, la nécessité d’un train pour emmener Mark Cavendish, qui pour protéger Bradley Wiggins ? Il y a néanmoins fort à parier que l’Anglais en a déjà une fine idée.

Sur le Dauphiné, pendant une semaine, les derniers réglages pourront être apportés. Et sur un parcours à l’architecture étrangement proche de celle du Tour 2012, une fois encore, rien ne sera laissé au hasard. Sur les routes de l’Ardèche, demain mardi, il y aura un air de Jura, d’étapes incontrôlables qu’il faut pourtant maîtriser. Jeudi, à Bourg-en-Bresse, tous parleront de la centaine de kilomètres solitaires de juillet. Vendredi, samedi et dimanche, Bradley Wiggins fera sa mue en soliste des montagnes, les yeux au loin. Il sera loin des festivités du Jubilé de sa Reine. De règne, il ne pensera qu’au sien, aux Alpes et aux Pyrénées.

Alors, il ne sera plus question de tricher, de bluffer mais plutôt d’impressionner comme s’il n’en avait déjà fait assez. Car il y a quelques années, le Londonien a fait un rêve. Il en est ressorti une idée. Et rien ne semble pouvoir le contrarier. – Simon Bernard