Les sanglots qu’Alberto Contador (Astana) retient, avec difficulté, sur le podium protocolaire en disent long sur la frayeur qui a saisi l’Espagnol au cours des 52 kilomètres, tracés au cœur du Médoc, balayé par le vent. Des spasmes qui proviennent du plus profond de son âme, d’une douleur dissimulée née des épreuves traversées par le Madrilène. Les nerfs à vif, Contador a donc craqué. Dans son regard emprunt d’émotion, se lit à la fois, la satisfaction, l’angoisse, le doute et la fatigue d’un Tour éprouvant tant sur le plan physique que psychologique. Cet affrontement psychologique qui aura duré jusqu’au bout. Car, pendant quelques kilomètres, Andy Schleck (Saxo Bank) est revenu sur les basques de l’Espagnol,  à moins de deux minuscules secondes. Le Tour a failli basculer. Pas dans la poussière des Cévennes, ni dans le brouillard pyrénéen, mais sur les routes rectilignes du pays Bordelais. Mais, qu’est ce que deux secondes après 3500 kilomètres?

A la recherche du temps perdu dans le port de Balès et de la montée finale de Morzine-Avoriaz, Schleck, démantibulé sur sa machine de contre-la-montre, grignote les secondes avec la rage aux lèvres. Derrière, Contador s’agite sur sa selle. Il sent le vent tourner contre lui. Sa pédalée est souple, son dos bien en ligne, mais son rictus trahit la tension et le doute qui le traverse sur ses routes dépourvues d’aspérités et d’abri. Décidément, ce tenace luxembourgeois, qui prétend être son ami, ne l’aura pas épargné. Mais l’euphorie est de courte durée. L’orgueil du tendre Luxembourgeois ne suffit pas. A mi-parcours, son envolée s’essouffle. Au dernier pointage, Contador lui a repris 7 secondes. Le Tour s’éloigne.

Sous son casque, Schleck doit se repasser le film du Tour, de ce Tour qui lui tendait les bras. Cette minute perdue sur la chaussée détrempée du port de Rotterdam, cette chute dans la descente d’une route de campagne au fin fond de la Wallonie qui a failli l’éliminer, l’étape d’Arenberg où il s’est envolé grâce à la chute de son frère, victime expiatoire, étalé de tout son corps sur le pavé. Sans oublier ce saut de chaîne dans le port de Balès, alors qu’il avait décidé de rompre la trêve avec Contador. Mais surtout, cette montée de Morzine-Avoriaz, où Bjarne Riis fulminait dans les oreillettes à son poulain, de placer une banderille mortelle pour laisser un Contador grimaçant, à ses jambes défaillantes. Mais, Schleck s’était contenté de décoché une flèche sous la flamme rouge, portant son bénéfice à 10 secondes. Schleck arguait avoir d’autres cordes à son arc. Il avait un plan le Andy. Deux semaines après cet évènement, il franchit la ligne, exténué par un dernier effort immaculé de panache. Mais il ne peut que constater que son plan a capoté.

Le duel entre les deux hommes du Tour aurait presque éclipsé l’autre match qui s’est déroulé sur les terres de Montesquieu. Pour la première fois, un Russe – Piotr Ugrumov, 2ème du Tour de France 1994 était Letton – devrait monter sur le podium  des Champs Elysées. Reprendre 24 secondes à Samuel Sanchez (Euskaltel) sur 52 kilomètres, relevait de la formalité pour Denis Menchov (Rabobank).  Dans sa remontée fantastique vers le podium du Tour, Menchov a laissé sur place, la révélation du Tour : Jurgen Van Den Broeck (Omega Pharma-Lotto), premier coureur d’Outre Quiévrain à rentrer dans les cinq premiers depuis Lucien Van Impe en 1983.

Jamais un contre-la-montre, n’avait atteint une telle intensité. La victoire de Fabian Cancellara au terme des 52 kilomètres est même relégué au rang de l’anecdote. Même au temps du duel fratricide entre Armstrong et Ullrich entre Pornic et Nantes, le suspens n’avait pas atteint les sommets du chrono grand cru, Bordeaux-Pauillac. S’ils ne se sont jamais vraiment affrontés en face à face, les duellistes n’auront pas manqué cet ultime rendez-vous d’un match dans lequel on n’osait plus croire. D’une certaine manière, avec ce dernier antagonisme, ils se sont rachetés de leur acoquinement mal placé. Quoiqu’il en soit, les deux frères ennemis ont pris rendez-vous pour 2011. Et pourquoi pas pour les années à suivre. Le Tour 2010 marque bien l’aube d’une nouvelle ère.

Classement de l’étape 19 :
1. Fabian Cancellara (SUI, Saxo Bank)
2. Tony Martin (ALL, HTC-Columbia) à 17sec.
3. Bert Grabsch (ALL, HTC-Columbia) à 1’48 »
4. Ignatas Konovalovas (LIT, Cervélo TestTeam) à 2’34 »
5. David Zabriskie (USA, Garmin-Transitions) à 3’00 »
6. Koos Moerhenhout (HOL, Rabobank) à 3’03 »
7. Vasil Kiryienka (BLR, Caisse d’Epargne) à 3’10 »
8. Maarten Tjallingii (HOL, Rabobank) à 3’21 »
9. Bradley Wiggins (GBR, Team Sky) à 3’33 »
10.Geraint Thomas (GBR, Team Sky) à 3’38 »
Classement complet

Classement général :
1. Alberto Contador (ESP, Astana)
2. Andy Schleck (LUX, Saxo Bank) à 39sec.
3. Denis Menchov (RUS, Rabobank) à 2’01 »
4. Samuel Sanchez (ESP, Euskaltel) à 3’40 »
5. Jurgen Van Den Broeck (BEL, Omega Pharma-Lotto) à 6’54 »
6. Robert Gesink (HOL, Rabobank) à 9’31 »
7. Ryder Hesjedal (CAN, Garmin-Transitions) à 10’15 »
8. Joaquin Rodriguez (ESP, Katusha) à 11’37 »
9. Roman Kreuziger (CZE, Liquigas-Doimo) à 11’54 »
10. Christopher Horner (USA, RadioShack) à 12’02 »