Là-haut, tout là-haut, juste en-dessous des nuages sales qui déferlent au-dessus des têtes capuchées, il y a un trône bien gardé auquel ne peuvent accéder que les plus grands champions. La Flèche Wallonne est une forteresse protégée par un Mur, celui de Huy. Ceux qui ont cherché à le prendre ne l’ont jamais fendu. Dans la vertigineuse ascension qui grimpe sur 1300 mètres à 9,3 %, le seul qui menace de s’écrouler, c’est le coureur qui présume de ses forces. Un garçon comme Joaquim Rodriguez (Team Katusha) a souvent rasé le Mur, 2ème là-haut derrière Cadel Evans en 2010 puis Philippe Gilbert en 2011, mais jamais il ne l’a sauté. C’est devenu son mur des lamentations, le symbole d’un puncheur toujours placé mais jamais gagnant : 2ème à San Sebastian en 2005, 2ème de Liège-Bastogne-Liège en 2009, 2ème de l’Amstel en 2011…

Si les murs ont des oreilles, celui de Huy a surtout du cœur. Il sait l’acharnement que mettent les meilleurs coureurs au monde à vouloir inscrire leur nom en son sommet. Et l’expérience de la montée finale de la semi-classique ardennaise a toujours été un élément décisif au moment où s’affrontent, d’égal à égal, les meilleurs coureurs d’un peloton qui n’aura guère été trop malmené, cette fois encore, avant le pied du Mur. Pourtant, les organisateurs proposaient aujourd’hui une variante lors de la dernière heure, avec l’ajout des côtes d’Amay (1,5 km à 6,7 %) et de Villers-le-Bouillet (1,2 km à 7,5 %) dans les 15 derniers kilomètres de la Flèche Wallonne. Ça ou rien, c’eut été pareil, car les favoris encore une fois ont décidé de ne faire honneur qu’au Mur de Huy, réduisant les difficultés qui s’étaient pourtant succédé depuis le départ de Charleroi, 194 kilomètres plus tôt, à des rôles secondaires et pour ainsi dire superflus.

Deux garçons auront eu le mérite d’avancer droit vers le Mur plus tôt que les autres. A l’assaut au kilomètre 55, le Belge Dirk Bellemakers (Landbouwkrediet-Euphony) et le Français Anthony Roux (FDJ-BigMat) sont les grands animateurs du jour. Sous des conditions climatiques changeantes, alternant entre averses nourries et belles éclaircies, les deux hommes acquièrent un avantage maximal de 7’10 » mais ne se font guère d’illusions quand survient la dernière boucle, après le deuxième franchissement du Mur de Huy à 30 kilomètres de l’arrivée. La course se dirige alors vers les nouvelles difficultés de la finale. Mais au lieu de dynamiter le peloton, elles font l’effet inverse. Un regroupement général intervient dans la côte d’Amay à 15 kilomètres du but. Dirk Bellemakers et Anthony Roux déposent les armes. Le peloton est regroupé.

La côte de Villers-le-Bouillet, placée à 8,5 kilomètres de l’arrivée, a tout du parfait tremplin. Mais les favoris ne s’y précipitent pas. Ce sont les outsiders qui s’y collent. Le Canadien Ryder Hesjedal (Garmin-Barracuda) et le Norvégien Lars-Peter Nordhaug (Team Sky) y prennent leur élan. Une dernière averse passe sur la course, les coureurs sont bons à essorer mais pas encore lessivés. Hesjedal et Nordhaug jettent leurs dernières forces dans la bataille pour se présenter au pied du Mur de Huy en tête. Mais déjà le peloton est dans leur dos, les candidats à la victoire replacés aux premiers rangs, prêts à se jeter contre le Mur. La pente s’élève brusquement et les virages aux pourcentages démoniaques, dont l’inclinaison atteint les 20 %, s’annoncent comme le grand tournant de cette course de côte.

A côtoyer Cadel Evans de près il y a deux ans, à reprendre une leçon auprès de Philippe Gilbert l’année passée, Joaquim Rodriguez a fini par acquérir une redoutable expérience. Secrètement, il a fini par se forger une culture de la gagne dans la Flèche Wallonne. Il sait maintenant où placer le démarrage décisif. Ce sera à l’endroit précis où Philippe Gilbert avait porté le sien l’an passé. C’est une mine que met le Catalan à ses adversaires, collés sur place, et qui voient s’éloigner en trois coups de pédales le coureur qui s’était déjà annoncé comme le plus explosif au Tour du Pays Basque. Michael Albasini (GreenEdge) et Philippe Gilbert (BMC Racing Team) se contenteront des places d’honneur derrière Joaquim Rodriguez, enfin admis dans la confrérie des vainqueurs de classiques.

Classement :

1. Joaquin Rodriguez (ESP, Team Katusha) les 194 km en 4h45’41 » (41,0 km/h)
2. Michael Albasini (SUI, GreenEdge) à 4 sec.
3. Philippe Gilbert (BEL, BMC Racing Team) m.t.
4. Jelle Vanendert (BEL, Lotto-Belisol) m.t.
5. Robert Kiserlovski (CRO, Astana) à 7 sec.
6. Daniel Martin (IRL, Garmin-Barracuda) à 9 sec.
7. Bauke Mollema (PBS, Rabobank) m.t.
8. Vincenzo Nibali (ITA, Liquigas-Cannondale) m.t.
9. Diego Ulissi (ITA, Lampre-ISD) m.t.
10. Jurgen Van Den Broeck (BEL, Lotto-Belisol) à 11 sec.