Mis sous pression depuis des heures comme une cocotte-minute dans les vallées étroites de la Lozère, le peloton a explosé dans la côte de la Croix-Neuve, aspérité asséchée par la chaleur, qui surplombe Mende. Une fois de plus, les favoris ont courbé l’échine, aplatis sur leur machine, la bouche grande ouverte. Seul l’un d’eux avait la jambe facile. Sur ces pentes qu’il connaît par coeur – vainqueur à Mende sur Paris-Nice 2007 et 2010 – Contador a retrouvé un semblant de sérénité et d’envergure. Du côté adverse, si Andy Schleck a plafonné, il n’a pas paniqué. Le troisième round de leur affrontement se solde par une victoire psychologique de l’Espagnol, faute d’avoir pu lever les bras sur la ligne d’arrivée. Car le maître es-arrivée en côte est passé par là. Joaquin Rodriguez (Katusha), aussi à l’aise dans les pentes à forte déclivité que Cancellara sur les pavés, trouve sa raison de vivre sur ces pourcentages vertigineux qui défient toute loi de la gravité. Il fait mouche pour son premier Tour de France, de la même manière qu’il avait triomphé par deux fois des puncheurs italiens de Tirreno-Adriatico, sur la route démentiellement inclinée qui mène à Montelupone, petit village des Marches.

Avant cette explication finale, il a fallu régler son compte à l’échappée du jour. Chose difficile quand l’inventaire des noms qui la compose ressemble à un classement général d’une course par étapes. Dans l’ordre, Alexandre Vinokourov (Astana), Andreas Klöden (RadioShack), Ryder Hesjedal (Garmin-Transitions), Mauro Santambrogio (BMC) Sandy Casar (FDJ), Thor Hushovd (Cervélo), Kanstantsin Siutsou (HTC), Carlos Barredo (Quick Step), Anthony Charteau (BBox), Vasil Kiryienka et Mathieu Perget (Caisse d’Epargne), Christophe Kern, Amaël Moinard et Rémi Pauriol (Cofidis), Mario Aerts (Omega Pharma-Lotto), Grega Bole (Lampre), Gorka Verdugo (Euskaltel) et Rafael Valls (Footon-Servetto). Mais qui dit échappée royale dit échappée contrôlée. Les Saxo Bank veillent au grain et ne permettent pas aux 18 coureurs de vraiment prendre la poudre d’escampette. A commencer par Vinokourov et Hesjedal, trop de coureurs sont gênants pour obtenir l’aval du peloton. L’écart ne franchira jamais les 5 minutes. Face à ces coureurs d’envergure, certains coureurs, sachant que leur temps de présence dans l’échappée est compté, préfèrent se concentrer sur leur objectif. Les pois pour Charteau, les points pour Hushovd. Ce soir les deux coureurs ont retrouvé leur bien. Ce sont eux les vainqueurs moraux de l’échappée du jour. A 50 kilomètres de l’arrivée, les attaques se succèdent dans le groupe de tête. Après le sprint intermédiaire, quatre coureurs font la rupture avec leurs compagnons. Sans surprise, on retrouve à l’avant les gros « moteurs »: Alexandre Vinokourov, Ryder Hesjedal, Andreas Kloden et Vasil Kiryenka. L’entente est bonne, mais leur initiative est vouée à l’échec. Les Saxo Bank ont embrayé à 25 kilomètres de l’arrivée,  et avalent un par un les coureurs qui composaient la fugue. Le même destin attend les quatre résistants. Avec 38 secondes d’avance dans les rues de Mende, leur sort est scellé.

Dans les premiers lacets de la Croix-Neuve, Hesjedal et Kloden sont décramponnés. Dans ces mêmes pentes, mais quelques secondes plus tard, John Gadret (AG2R La Mondiale) fait illusion en devançant le peloton d’une dizaine de mètres. Mais son évasion est de courte durée. Les Omega Pharma appuient sur le champignon car Jurgen Van Den Broeck veut assumer le poids de la course. Impressionnant d’aisance, le Flamand mène le groupe des favoris qui perd, sous son impulsion, certains outsiders comme Wiggins (Team Sky) ou Sastre (Cervélo). A mi-pente, Kreuziger (Liquigas-Doimo),  Samuel Sanchez (Euskaltel), Rodriguez (Katusha), Contador (Astana), Schleck (Saxo Bank), Menchov et Gesink (Rabobank) sont toujours dans la roue du Belge. Un peu plus haut, Vinokourov lâche Kiryienka et se prend à rêver de lever les bras, à l’endroit même où il s’était révélé en 1999 dans le Midi-Libre. Son espoir est légitime car l’écart inchangé, tourne toujours autour des trente secondes. Mais, c’est sans compter sur Joaquin Rodriguez qui met le feu aux poudres. Van den Broeck réagit illico. Le prétexte est suffisant pour Contador qui s’élance à la poursuite des deux hommes. Andy Schleck, placé de l’autre côté de la route, semble mettre un temps à répondre. Trop tard, l’écart est fait. Pendant quelques centaines de mètres, Schleck tient en respect l’Espagnol avant de se rasseoir sur la selle. Il plafonne et Contador s’envole avec Rodriguez, accroché comme une sangsue à sa foulée. Le Madrilène retrouve son coup de pédale, tandis que Schleck peine à rester dans la roue de Van den Broeck. Sur la route qui mène à l’aérodrome de Mende, Contador retrouve Vinokourov, effondré sur son vélo, tout juste bon à martyriser ses cocottes. L’aide du Kazakh est aussi brève qu’inutile. Vinokourov s’écarte avec certainement le goût amer du succès dont le prive sa maison-mère.

Rodriguez ne peut donner le change à Contador. Andy Schleck n’a personne non plus pour le relayer. Flanqué de Sanchez, Van Den Broeck et Menchov, il assume seul la poursuite et la sauvegarde de son intermède en jaune. Peut-être trop gourmand, Contador ne se consacre pas seulement à creuser l’écart. Dans le dernier kilomètre, comme s’il ne s’intéressait qu’à la victoire d’étape, il se retourne sans cesse pour anticiper le démarrage de Rodriguez qui n’a plus qu’à se frotter les mains. Et ce qui devait arriver, arriva. Purito déborde aux 150 mètres et met El Pistolero dans le vent. Sur la ligne, le débours n’est pas si conséquent pour Andy Schleck. Le Luxembourgeois ne cède que 10 secondes. Il assure qu’il ne s’est pas mis dans le rouge. Bluff, véritable faille, ou maîtrise du sujet, le sourire et la décontraction apparente du Luxembourgeois balaie toute lecture possible de son véritable état de forme dans cette étape. Contador, lui, rit jaune plutôt que de voir jaune. Il voulait se rassurer et frapper fort, mais, comme depuis le début du Tour, son pistolet est reste enrayé. Demeure un avantage psychologique non négligeable avant l’entame des Pyrénées, dimanche.

Classement de l’étape 12:

1. Joaquin Rodriguez (ESP, Katusha)
2. Alberto Contador (ESP, Astana) m.t
3. Alexandre Vinoukourov (Kaz, Astana) à 4sec.
4. Jurgen Van Den Broeck (BEL, Omega Pharma-Lotto) à 10sec.
5. Andy Schleck (LUX, Saxo Bank)
6. Samuel Sanchez (ESP, Euskaltel)
7. Andreas Kloden (ALL, RadioShack)
8. Denis Menchov (RUS, Rabobank) m.t
9. Robert Gesink (HOL, Rabobank) à 15sec.
10.Roman Kreuziger (CZE, Liquigas-Doimo) m.t
Classement complet

Classement général :

1. Andy Schleck (LUX, Saxo Bank)
2. Alberto Contador (ESP, Astana) à 31′
3. Samuel Sanchez (ESP, Euskaltel) à 2’45 »
4. Denis Menchov (RUS, Rabobank) à 2’58 »
5. Jurgen Van Den Broeck (BEL, Omega Pharma-Lotto) à 3’31 »
6. Levi Leipheimer (USA, RadioShack) à 4’06 »
7. Robert Gesink (HOL, RadioShack) à 4’27 »
8. Joaquin Rodriguez (ESP, Katusha) à 4’58 »
9. Luis Leon Sanchez (ESP, Caisse d’Epargne) à 5’02 »
10. Roman Kreuziger (CZE, Liquigas) à 5’16 »