Romain Bardet se confie avant de disputer le Critérium du Dauphiné, au terme duquel il mettra un terme à sa carrière.
Après presque quatorze années dans les rangs professionnels, Romain Bardet a choisi de mettre un terme à sa carrière sur le Critérium du Dauphiné, la course qui occupe une place particulière dans mon cœur. Au moment de se lancer dans sa huitième participation, le leader de Picnic PostNL ouvre la boîte à souvenirs, d’où jaillissent une mémorable étape arrivant à Courchevel en 2014, son unique victoire à Pra-Loup en 2015 et ses joutes dans les hauteurs du classement général en 2016 (2e) et 2018 (3e). Le coureur auvergnat, qui vivra un départ d’étape forcément émouvant dans sa ville natale de Brioude, n’oublie pas de se projeter avec ambition vers le programme sportif de la semaine prochaine : une dernière victoire serait du plus bel effet pour clore un palmarès déjà bien garni.
Romain Bardet, vous avez passé cette saison sans enclencher le compte-à-rebours, mais à ce stade, commencez-vous tout de même à compter les jours qui vous séparent de vos adieux au peloton ?
Je sais bien qu’il ne me reste que huit jours de course si tout va bien, la fin approche. Mais je suis très à l’aise avec ça parce que toutes mes volontés en termes de timing sont respectées, et ça se présente bien. Je suis super content de revenir sur le Dauphiné, où je ne me suis plus présenté depuis 2020 sur une édition réduite à cinq étapes en septembre, dans le contexte particulier du calendrier Covid (6e du général).
Crédit : ASO / Alex Broadway
Quel bilan tirez-vous du Giro, où vous n’avez finalement pas décroché l’étape qui va manquer à votre palmarès ?
L’année dernière, j’avais terminé 9e du Giro mais je n’en étais pas sorti satisfait parce que ce n’est pas idéal de se battre pour un fond de Top 10 sans vraiment peser sur la course. Se mettre à la planche pour perdre le moins de temps possible, je l’ai assez fait pendant ma carrière. Mon niveau était plutôt meilleur cette année, mais les planètes ne se sont pas alignées les jours où je voulais vraiment aller chercher un résultat. Cela fait partie intégrante du jeu, je suis allé quatre fois sur le Giro et je me suis classé quatre fois deuxième d’une étape. Ce n’est pas ce qui va changer ma vie, ni la perception de mon parcours. J’ai encore réalisé ce qu’était la densité d’un grand tour. Et aussi que mes meilleures années sont bel et bien derrière moi : je ne peux plus nourrir mon épanouissement par des coups d’opportunité et d’audace comme je l’ai fait ces derniers temps. Donc, je suis totalement en paix avec ça.
« Sur le dernier week-end, tout peut partir en cacahuètes et les leaders peuvent se retrouver esseulés. Cela donne des courses absolument sublimes, palpitantes, y compris de l’intérieur »
Vous avez pris de longue date la décision de stopper votre carrière après ce Critérium du Dauphiné. Pourquoi ?
Je voulais courir un dernier Giro parce que c’est le grand tour qui m’offrait le plus de possibilités, et encore plus après le Tour de France que j’ai vécu en 2024. J’ai eu la chance de pouvoir choisir ma course de sortie et j’ai un attachement singulier au Dauphiné, donc je le fais sur celle qui occupe une place particulière dans mon cœur. Toutes les conditions sont réunies pour que ce soit une belle fin. Je pense pouvoir apprécier davantage mes derniers tours de roue sur un Dauphiné où je vais pouvoir être acteur que sur le Tour.
Crédit : ASO
Vous y avez connu des moments forts dès votre première participation en 2014, et notamment sur la dernière étape totalement débridée en direction de Courchevel, où Andrew Talansky avait détrôné Alberto Contador, alors que vous preniez la 5e place du classement général en même temps que la 2e de l’étape…
C’est la première fois où je me suis dit « j’aime le vélo comme ça », et c’est sur le Dauphiné que ça peut se jouer de cette façon. Il faut se remettre dans la perspective de l’époque, lorsque les courses étaient cadenassées par deux grosses équipes, mais il y avait cette magie du Dauphiné où sur le dernier week-end, tout peut « partir en cacahuètes » et les leaders peuvent se retrouver esseulés. Cela donne des courses absolument sublimes, palpitantes, y compris de l’intérieur.
Et l’année suivante, il y a eu cette victoire à Pra-Loup, sur une attaque portée en descente et précédant un solo pour s’imposer dans la station. À quel point a-t-elle compté dans votre début de carrière ?
Oui, c’est l’anniversaire des 10 ans de ma première grande victoire, c’est une belle boucle qui se referme. Cette victoire m’avait permis de prendre confiance et de gagner quelques semaines plus tard sur le Tour. Je souhaitais m’exprimer de cette façon sur un vélo. La construction d’un succès sur ce type de scénario, c’est ce qui me rend le plus fier. Et l’étape du Tour à Saint-Jean-de-Maurienne a été bâtie de la même manière, à la différence que je n’étais pas dans le groupe des favoris, mais dans une échappée. C’était une année vraiment importante pour moi.
Le Dauphiné est aussi la course où vous avez atteint le podium final en 2016 (2e) et 2018 (3e), battu par Chris Froome puis Geraint Thomas. Est-ce que ces podiums vous ont encouragé à penser que vous pourriez peut-être gagner le Tour ?
Crédit : ASO / Alex Broadway
Non, en revanche en 2016, c’était une erreur de ne pas avoir envisagé la victoire au général sur le Dauphiné. Dans l’étape de samedi, j’étais sorti en montant la Madeleine, il y avait eu une guéguerre avec Thibaut Pinot sur le final de Méribel, et ensuite, il m’a manqué une douzaine de secondes à l’arrivée le dimanche soir. C’est la grande course par étapes que j’ai été le plus proche de remporter et elle m’a apporté beaucoup de bonheur dans ma carrière. Avec le Tour, les souvenirs sont toujours mitigés parce que les émotions sont en accordéon sur trois semaines. Alors que le Dauphiné a toujours bien marché pour moi, c’est une course qui validait de bonnes séquences de travail et qui me lançait sur une belle piste pour le mois de juillet.
Sur le Dauphiné 2025, souhaitez-vous être à nouveau acteur dans le registre du chasseur d’étapes qu’on vous connait depuis l’année dernière ?
J’aimerais bien, mais il faut être réaliste parce que je ne sais pas comment va se passer l’enchaînement Giro-Dauphiné. Cette semaine, je ne peux plus faire autre chose que récupérer avant le départ et espérer le meilleur. Et hormis le Tour, c’est la start-list de l’année, les meilleurs du monde sont là. Donc j’aimerais être à la bagarre pour une victoire d’étape à un moment donné sur la semaine.
« Il est temps de défaire pour de bon ma valise… cette fois-ci, je vais vraiment la vider et la poser »
Un départ est organisé dans votre ville natale de Brioude, avez-vous reconnu cette étape ?
Je n’ai pas fait de recos et honnêtement, je connais très bien les routes, spécialement dans le dernier week-end où il n’y a pas un col que je ne connais pas. Il y a l’étape d’Issoire, qui se trouve à proximité de Clermont-Ferrand et où j’aurais aimé que la dernière partie soit un peu plus dure, car on peut avoir une belle course si un bon groupe d’échappés se forme d’entrée. Il se trouve que dans le final, la côte de Nonette, j’y roule depuis plus de vingt ans : c’est l’endroit le plus lointain où on venait à l’entraînement quand j’avais 12 ans. C’est une bosse qui n’a rien de très dur, mais on y faisait beaucoup de courses entre nous. Et mon père qui encadre maintenant les jeunes au VSB Brivadois les emmène très souvent là-bas pour attaquer cette côte à fond, c’est un endroit très sympa.
Crédit : ASO / Charly Lopez
Votre regard se porte donc sur les étapes de montagne du week-end…
C’est plutôt celle de Combloux qu’il faut viser, la seule fenêtre vraiment réaliste pour moi. Il y a une possibilité qu’UAE exerce déjà son rouleau-compresseur, mais le samedi et le dimanche cela risque d’être de la survie pour moi. Je vais faire le maximum, mais c’est une équation à plusieurs inconnues. Devant, les meilleurs vont beaucoup plus vite que moi et ils auront les crocs puisqu’ils n’ont plus couru depuis Liège ou même Paris-Nice. Il y aura donc très peu de moments où il sera possible d’inverser le cours des choses.
Quelle est votre première envie pour votre nouvelle vie, une fois franchie la ligne d’arrivée de Val Cenis ?
Il est temps de défaire pour de bon ma valise. Elle est toujours plus ou moins prête avec mon vestiaire pour repartir en course, mais cette fois-ci, je vais vraiment la vider et la poser. J’ai envie de ne plus rythmer mes journées autour de l’entraînement quotidien, me nourrir intellectuellement d’autres choses. La focale d’une journée réussie ou non ne dépendra plus de ce que j’ai à faire en prévision de la prochaine course.